Louis Solo Martinel

Litteratures francophones, Lafcadio HearnThéâtre



   

Introduction : Joyeux centenaire à la bibliothèque Lafcadio Hearn de l’Université de Toyama.

La bibliothèque Lafcadio Hearn de l’Université de Toyama a 100 ans, et, une tendre nostalgie me traverse. En consultation privilégiée ou en visite guidée, je fus toujours émerveillé devant ses 2500 pièces originales. 

Et voici les écritures de LH en 16 volumes et des myriades d’éditions, de traductions, en plusieurs langues. (récits de voyage, essais, romans, nouvelles, contes, articles, revues, traductions, manuscrits, lettres, …). Voici ses lectures en 16 langues, en « Feuilles éparses de littératures étranges » (Stray Leaves From Strange Literature) . (anglais, allemand, arabe, caraïbe, celte, chinois, créole, égyptien, espagnol, français, grec, indien, italien, japonais, latin, perse, polynésien). Plus de 16. Et pour être tout à juste il faut ajouter le Hearn san no Kotoba.

Ces éparpillements (diversité, exotisme, altérité) qui transitent en lui, flottent devant moi et me frôlent. Aujourd’hui encore, la même tendre nostalgie me traverse. Surtout que je ne l’avais pas revue depuis 5 ans. Le moindre contact avec elle, la vieille, la grande dame, je veux dire la bibliothèque, est une émotion. J’aime ses murs et ses meubles, ses livres et ses archives, ses documents et ses instruments, son personnel. Elle me révèle encore ses trésors inestimables. Joyeux centenaire ma grande, ma vieille ! 

Les bibliothèques sont les dépositaires de trésors inestimables. Les découvrir, c'est une heureuse aventure. Livres rares et introuvables, archives et réserves, correspondances privées et manuscrits inédits s’y cachent. 

 

I/ Ma plus belle et fabuleuse aventure avec des manuscrits inédits de LH retrouvés au Japon.

Je peux témoigner de ma plus belle et fabuleuse aventure personnelle avec des manuscrits inédits de LH. Tous retrouvés dans des bibliothèques universitaires, privées, publiques au Japon. La dernière halte de LH. Documents rares, précieux, consultables sous habilitation. Et, c’est vous dire ma chance d’y être parvenu. Je vous les présente, de façon sommaire. Puis, je dirai par quel chemin sont-ils parvenus jusqu’à moi? Non! Comment suis-je arrivé jusqu’à eux ? Ce chemin d’émotions ! Puis je ferai de courtes analyses.

 

I-1/ Un petit carnet manuscrit inédit intitulé [ Contes II ].

Manuscrit inédit retrouvé à la bibliothèque de l’université Waseda. Charmant petit carnet de 21 cm x 15 cm. Couverture noire, cartonnée, renforcée. Heureuse protection poétique! Magnifique prophétique précaution! LH avait-il voulu protéger ces contes ? Avait-il compris ou prédit que son carnet ferait ce si long voyage. C’est en effet, géographiquement, un triple périple aux escales multiples (Martinique-Amérique-Japon). C’est aussi historiquement, une sauvegarde fabuleuse, miraculeuse et périlleuse, digne du plus beau conte. C’est, qu’il survit aux déménagements, aux tremblements de terre et aux bombardements américains. Sauvegarde prophétique ! Puisque son lieu originel, Saint-Pierre, capitale martiniquaise, sombra en 1902. 

Sur les premières et les dernières pages, LH griffonna rapidement et partiellement quelques notes en vrac. J’ai pu déchiffrer des proverbes, des chansons, une référence d’un livre sur le créole, une liste de prénoms. Certains prénoms (Adou, Cyrillia, Youma, Rachelle-chèchelle, …) sont déjà utilisés dans plusieurs de ses oeuvres. Passant d’un livre à l’autre, je suis parvenu à comparer les éléments pour deviner ses griffonnages illisibles. Mais le contenu le plus important, ce sont les 8 contes créoles répertoriés, beaucoup plus lisibles et entiers.

C’est un carnet bien conservé. D’abord par LH lui-même, puis par ses héritiers, et enfin par la bibliothèque.

Saluons la conscience conservatrice des familles Inagaki et Koizumi et l’archivage de la bibliothèque. 


I-2/ Un petit carnet manuscrit inédit intitulé [ Note Book ]. 

Retrouvé à la bibliothèque à l’université Waseda. Mêmes dimensions. Couverture noire/losanges blancs. 160 p numérotées par LH. J’ai comparé les chiffres (texte/pagination). Note book certifié par son fils Kazuo «I certify herewith that:this is a note book used by my late father Yakumo ehen he was travelling in French west indies. (1887-1889)» 

Ce sont les mêmes notes créoles bizarres (prénoms, chansons, proverbes, devinettes, jeux, recettes, jurons).  

« La pluie et le soleil sont ensemble ! C’est le diable qui marie sa fille derrière la porte de l’église » p.30 « sacré trablati » p.30. On trouve aussi des petits dessins et de belles petites illustrations écumoire p.30, fantôme p.14, doigt levé p.13.  Il écrit en anglais « Dutertre writes like Montaigne, Labat like Boileau » p.59 Est-ce une discussion, une remarque ?  Il use du français pour recopier des auteurs sur la Martinique (Dutertre/Labat/Rutz), des articles (code noir) p.91. On trouve aussi de la poésie. La chanson de Sophocle à Salamine de Victor Hugo.

Mais, le contenu le plus important est celui qui esquissa Martinique Sketches in Two Years in the French West Indies. 

En première page du manuscrit, il lista 13 chapitres dont il en raya un. Son volume final en contiendra 15. 

Il a donc ajouté d’autres textes et l’appendice Some Creole Melodies. Les bonnes deviennent Ma bonne.  


I-3/ Un petit carnet manuscrit inédit intitulé [ notes ].

Il manque des éléments pour mieux présenter ce carnet qui se trouve au musée Lafcadio Hearn de Matsue. D’autres documents s’y cachent. Je n’ai qu’une hâte, c’est d’y retourner pour poursuivre mes recherches. C’est aussi un charmant petit carnet de 43 pages. Paginé aussi par LH. Le contenu ne fait aucun doute. C’est un carnet de notes utilisé par LH lors de son voyage aux Antilles, surtout à Saint-Pierre, Martinique. Ce sont les mêmes notes créoles bizarres (prénoms, chansons, proverbes, devinettes, jeux, recettes, jurons).  

Que puis-je citer ? Si vous insistez : « Si l’amour prend racine, je le planterai dans mon jardin » p.26 manuscrit/p.37

 

I-4/ Une correspondance manuscrite inédite [ des lettres ]. 

Accompagné de Shoko Koizumi, j’ai eu cette immense privilège de consulter une correspondance de LH. 30~40 lettres manuscrites reçues par LH sont précieusement conservées au musée d’art Ikeda à Niigata. Correspondance privée de diverses provenances, à destinations diverses, selon l’adresse du moment de LH.

Des lettres de Martinique pour Philadelphie, New York, Chu Gakko, Shimane, Kumamoto m’ont attiré. Durant des heures, avec des gants de protection, j’ai touché, lu, déchiffré cette jolie correspondance privée. Dès mon retour chez moi, j’ai entamé la transcription de quelques lettres d’expéditrices de Saint-Pierre. Rien de littéraire, mais une jolie correspondance si affectueuse et touchante, si émotionnelle et passionnée. Je me surpris, amusé, à déceler d’hypothétiques relations épistolaires amoureuses Léonie-Bolo, Albertine-Bolo.  Bolo ! C’est ainsi que LH se fait appeler. Ou, les intimes Léonie, Ninotte, Albertine, l’appellent ainsi.

« Saint-Pierre, le 2 juillet 1889

Mon cher petit Bolo

Que j'étais heureuse quand j'ai reçu ta charmante lettre dans laquelle tu m'apprends que tu es très bien. 

Et que ce faux bruit que tu avais péri n’était pas du tout vrai.

Tu ne saurais croire la joie que j'ai éprouvée en sachant que tu es vivant et que je te verrai venir auprès de moi.

Aussi je t’attends avec impatience. Je ne demande que ton retour. Je ne puis aller dans la petite maison sans penser à Bolo.

Si tu voyais ton petit chat, il est très beau et tu serais bien content de le voir. 

Tu me dis dans ta lettre que tu as beaucoup à faire dans le pays où tu te trouves …

En attendant ton retour, cher petit Bolo je t'embrasse tendrement. Ta petite Léonie-Bolo »

 

Albertine, qui lui écrit le même jour que Léonie, est sans équivoque : « Ta petite femme qui t'aime bien »

« Saint-Pierre, le 2 juillet 1889

Mon cher Bolo

J'ai reçu ta lettre qui m'a fait beaucoup de plaisir aussi je m'empresse de t’écrire …

Je t'en prie cher Bolo n'oublie pas de m'écrire souvent c'est ma seule consolation puisque tu es éloigné de moi …

Je termine cher Bolo en t’embrassant de tout mon cœur. Ta petite femme qui t'aime bien. Albertine »

 

Une autre femme lui fait part de sa folle inquiétude. LH venait de quitter la Martinique pour l’Amérique. La presse parlait de deux navires qui avaient coulé dans les environs entre la Martinique et l’Amérique. Une rumeur circulait que c’était le bateau de LH. On peut lire la peur et l’affection des amis intimes de LH.

« Saint-Pierre, le 22 juin 1889 

Mon cher Bolo

Je t'ai écrit le lendemain de ton départ peut-être que tu n'as pas reçu cette lettre. On disait que deux bâtiments avaient péri.

Figure-toi quel était mon état. Je me voyais devenir folle … »

 

J’ai trouvé cette correspondance affectueuse. Elle attisait ma curiosité, ma réflexion, mes questions.  Pourquoi Bolo ? Qui sont ces femmes de Saint-Pierre, Léonie, Ninotte, Albertine, … entre 1887-1892 ? Parcourant en diagonale, l'œuvre de LH et sur LH, je n’ai trouvé, hélas, aucun passage qui y fait référence. Nous sommes informés par LH lui-même et d’autres sur quelques connaissances de sa période antillaise. Des notables, le notaire Léopold Arnoux, le docteur Cornillac, le poète Flavia Léopold, le consul anglais M. William Lawless, … Des gens simples aussi, la bonne Cyrillia, le guide Yébé, la marchande de cigares, Mme Robert, la fille de la logeuse, Adou. Mais pas un mot sur ces autres connaissances intimes. C’est bien normal, pour un dandy, timide et discret.

Faute de références livresques, je me suis livré à des analyses et des spéculations pour mieux les connaître. Je vous révèle que cette gente féminine dans son ensemble est bien éduquée et est d’un bon milieu social. Je peux affirmer que c’est un milieu éducatif, scolaire. Et, j’appelle à la barre ces éléments comme témoins. 

Le beau papier à lettre à carreau, la belle écriture attachée, arrondie, fine, soignée, uniforme, commune, identique ; on pourrait même penser qu’il s’agit de la même écriture, des lettres écrites de la même main ; la belle formule de politesse, le bon usage parfait de l’encre, la propreté et l’ordre des lignes et des formes, le trait très fin, le style noble et romantique, le peu d’erreurs de grammaire/vocabulaire, la parfaite syntaxe, le lexique soutenu, le contenu, même dans une lettre banale et légère, le ton sérieux, affectueux, touchant et passionnant, la longueur généreuse (plusieurs pages). Tout est typique d’un haut milieu éducatif et scolaire. Et, j’ajouterai d’une grande ville digne, comme Saint-Pierre, la capitale de l’époque de la Martinique. 

Ville d’art et d’histoire avec un opéra, un théâtre, sa musique. Ville financière avec sa maison de la bourse. Ville intellectuelle et éducative avec ses écrivains, ses établissements scolaires et son séminaire collège. Ville volcanique avec la pelé, montagneuse, avec le morne rouge (en feu), peu balnéaire avec le sable noir. Ville commerciale et portuaire avec ses paquebots et ses navires et sa rade, la plus belle, comme dit LH. Ville romantique, sensuelle de femmes de Saint-Pierre, plus belles et plus douces comme dit une chanson. Ville de plaisirs et de vices avec ses cabarets, ses maisons closes, ses rues de prostituées, Rue monte au ciel.  

Alors ! Que reprocher à notre charmante Léonie pour son ton si affectueux, si doux, si tendre, si passionné ! Quel beau B de Bolo en cœur final liant d’amour le couple Léonie-Bolo ! Quel beau M de aime. Lettres sérieuses !

C’est l’écriture de ma tante, institutrice vers 1930 et qui m’a appris à écrire vers 1970 dans le même style. Enfin, je veux appeler à la barre P. Payardelle, mon dernier témoin. un autre expéditeur ou une expéditrice. En effet rien dans son nom, ni dans son style, n’indique son sexe. Mais on a la preuve de ce que j’avance. Sa lettre vient du séminaire collège de Saint-Pierre en Martinique que fréquentait LH en 1887-1889. 

« Séminaire collège, le 11 décembre 1892,

Saint-Pierre, Martinique

Mon cher Monsieur Hearn,

J'ai reçu votre lettre avec un extrême plaisir …

Mon père et moi nous avons éprouvé un véritable bonheur en recevant de vos nouvelles …

C'est avec une grande impatience que nous attendons le jour qui vous ramènera à la Martinique…

Quant à moi, je fais actuellement ma seconde. Dans un an je me présenterai à l'examen.

Recevez, mon cher monsieur Hearn, l'expression de mes dévoués sentiments. P. Payardelle »


Payardelle n’est donc pas dans la passion comme les autres, mais dans le respect « Mon cher Monsieur Hearn », et la distance avec l’emploi du vous. Ton et style restent affectueux extrême plaisir/véritable bonheur/grande impatience.

Ici, le contenu est sérieux, il est question de scolarité et d’examen :  je fais ma seconde/Je me présenterai à l’examen. On parle de 2e année scolaire au séminaire collège de Saint-Pierre et d’examen sans doute pour enseigner. Aucune ambiguïté chez Payardelle, contrairement aux autres Léonie, Ninotte, Albertine avec fleurs, cœurs, prières, qui lui rappellent sa petite maison qu’il louait, son petit jardin qu’il entretenait, son petit chat qu’il aimait. Et, elles insistent sur son proche et probable retour. Promesse qu’il n’a pas tenue ? Espoirs qu’il a déçus ? 

Comment suis-je arrivé aux manuscrits ? Je vous dévoile rapidement ce chemin d’émotions.

 

Comment j’ai retrouvé des inédits de Lafcadio Hearn au Japon (3-28/09/93, 10/05/1996 à nos jours).

Projet de thèse, projet de recherches, projet professionnel en tête, je décide de partir au Japon sous conseils de Mmes Pigeot et Sakai, M. Shinoda, professeurs Paris VII qui m’initiaient au japonais langue et culture. Mon premier voyage en septembre 1993 est celui d’un étudiant pauvre en auto-stop de Shinjuku à Matsue. J’ai voulu visiter les bibliothèques, mais, trop difficile d’accès. J’ai fait mon pèlerinage, mais en auto-stop. J’ai un brin d’humour sur le sujet. Sans le vouloir, sans le programmer, je suis arrivé à Matsue le 15/09/93. J’ai alors assisté incognito et involontaire, spontané au 89e anniversaire de la mort de LH dans son jardin. La famille Koizumi (Toki, Bon, sans doute Shoko) est là. Je ne connaissais personne. Me présenter ? Une honte !  J’étais sale et mal dans mes baskets, Jeans et T-Shirt, après des jours d’auto-stop. J’évite tout contact. J’aurai voulu redire à Shoko et Bon Koizumi, comment j’ai raté ma première rencontre avec leur famille. Mais, ils ne sont pas avec nous. Ils sont au carnaval de la Nouvelle Orléans dont le thème est Lafcadio HearnRex Parade choisit d’honorer LH pour son carnaval 2024 The Two Worlds of Lafcadio Hearn - New Orleans and Japan. Ils vous saluent et vous souhaitent un bon symposium et un Happy Birthday à la grande dame.

Mon deuxième voyage en 1996 est celui d’un bon étudiant chercheur en fin de thèse sur les traces de LH. Pistes bibliothécaire (Tokyo/Waseda/Toyama), muséale (Matsue/Kumamoto), familiale (Koizumi/Inagaki).

J’étais mieux préparé. Car, je voulais voir les salles des archives et documents précieux des bibliothèques. Lieux pas faciles d’accès. J’ai attendu des mois pour pouvoir y accéder avec une habilitation, une carte. Mme Pigeot m’avait recommandé auprès de M. Sukehiro Hirakawa, professeur émérite de l'université de Tokyo, spécialiste et traducteur de LH, auteur d’essais, d’articles. Imaginez, ma fascination et ma timidité ! Il m’a recommandé auprès de Mme Kaoru Sekita, conservatrice de la bibliothèque de l’université Waseda. Il m’a aussi parlé d’un manuscrit de textes créoles qui s’y trouvait. C’était Contes II.

Quand, j'eus pour la première fois posé mes yeux sur ce manuscrit inédit, je fus traversé par une émotion. Ce fut hallucinant. Je n'imaginais pas trouver matière à nouvelle étude loin du sujet de ma thèse doctorale. Je ne soupçonnais pas que le lit où « sommeille une belle part de notre être »  pouvait se trouver ici dans ces pages. Ce tout petit carnet, caché dans un coin du Japon, contenait « l'expression primordiale de notre génie populaire. »  J’étais loin de penser que « paroles sous l’écriture »  veillaient dans ces pages jaunies, vieilles  de + de 100 ans. Le mêlé des survivances des traditions africaines, amérindiennes, européennes est en voltige permanente. Mais un chercheur se doit de rester froid devant de telles découvertes. Je devais en vérifier l’authenticité. Confirmer le caractère inédit des contes me semblait être la première étape avant transcription et traduction. Des textes de LH sont partiellement dans des revues, des journaux aux États-Unis, au Japon, en France ? Charles-Marie Garnier (1869-1956) professeur de langue et littérature anglaises, traducteur de Shakespeare avait demandé à LH des contes japonais pour illustrer une revue pour enfants. Il envoya le carnet Contes I Dans sa préface de Trois fois bel conte , Garnier raconte qu’il n’a pas pu voir LH, souffrant, lors de sa visite. En 1903, il lui adressa sa lettre en français et le manuscrit Contes I plus proche du petit français que Kwaidan : « Pendant mon séjour à la Martinique, j'ai recueilli un nombre de contes créoles, très baroques, qui sont à la fois amusants et dignes de l'attention de quelques folkloristes … Je puis vous envoyer le texte ; mais je n'ose point entreprendre la traduction … Ce que je vous offre ne se trouve pas facilement ailleurs, car la Martinique est finie pour jamais. C'est comme un manuscrit de Pompéi… » 

En 1932, Serge Denis, philologue guadeloupéen publia Trois fois bel conte. Joie double découverte/publication. J’ai connu ça pour Contes II que j’ai transcrit, traduit, publié en France en 2001 sous le titre Contes créoles II 

Au siècle de Denis, scripteurs, transcripteurs, traducteurs créoles ne faisaient pas office. Garnier reconnaît la chance qu’il a eue d’avoir croisé l’expert qui « réunissait toutes les qualités demandées par Hearn : Antillais, il avait, outre l’instinct de la langue créole, les connaissances philologiques indispensables…. Comme l’avait prévu Hearn, elle intéressera les folkloristes,… les érudits, mais tous les amis de ces peuples jeunes. »  Hirakawa et Sekita m’ont aussi ainsi su gré.

 

Avant la naissance des premiers poètes, il était une fois, L. Hearn, « marqueur de paroles ».

Le manuscrit Contes II fut présenté au public japonais, français, martiniquais en conférences internationales. Le Japon en a fait en 1998, 2000. Pour la publication de Contes créoles II, j’en ai fait en Martinique 2001-02. Les contes ont ainsi fait leur retour au pays natal, à Saint-Pierre, Martinique. Je suis satisfait d’avoir suivi mon instinct, poursuivi ma démarche. Contes créoles II est au programme de l’agrégation créole. J’en suis fier. L’équipe Garnier-Denis avait publié la table de matière de l’original avec 34 contes. LH lui envoie 6 contes. D’autres contes étaient cachés au Japon. J’en ai trouvé 8. Quelle joie ! Dénicher les 20 autres. Quel rêve ! Je mourrai sans doute au Japon pour cela.

LH rencontra des difficultés. D’abord, écouter et transcrire le créole n’ont pas dû être aussi simples.  Ensuite, il est en face d’une langue réduite au statut de patois et qui souffre du mépris des uns et du manque de considération des autres y compris par ses locuteurs. Sa bonne ne comprend pas pourquoi il note tout ça.

Ensuite, les sources écrites lui manquent. Il consulte quelques livres disponibles chez ses amis notables. Mais, le marqueur gréco-irlandais est libre et avertit en terre créole. D’abord, il a l’avantage d’une connaissance du créole depuis la Louisiane. Ensuite, il ne respire, ni ne partage l’air des soupçons, le mépris et la condescendance imposés à la langue créole. Enfin, il ne se tient à aucune distance hautaine. 

Lecteur du célèbre auteur français Prosper Mérimée, il applique la méthode mériméènne très prospère. D’abord, il convoque et écoute le locuteur le plus basilectal. Ce que j’appelle le conteur de circonstances (bonne, guide). Ensuite il interroge et confirme avec l’élite (notaire, docteur, écrivain). Copiste, il note tout, le banal et l’insolite.

Le conte créole dispose de ce que Vladimir Propp nomme fonctions universelles (lieu/temps/élément convoité/…) (musashi/arutokoroni/kokoroyasashiku utsukushi ohimesama/il était une fois/dans un lieu lointain/vivait la gentille, jolie princesse). Le créole a aussi ses mentions originales (atouts exotiques, origines diverses et saveurs locales), utiles au diversel.

Je dérange aux Antilles car je nomme LH précurseur de la créolité. LH fut le premier marqueur de contes créoles. Il dit littérature martiniquaise. Il comble à sa façon le silence, la rupture signalé par les auteurs de l’éloge de la créolité«Après nos conteurs traditionnels, ce fut donc une manière de silence. (…) Ailleurs, les aèdes, les bardes, les griots, les ménestrels et les troubadours avaient passé le relais à des scripteurs (marqueurs de paroles) qui progressivement prirent leur autonomie littéraire. Ici ce fut la rupture, le fossé, la ravine profonde…»  

LH note la parole du conteur de circonstance et le colporte et l’emporte jusqu’au Japon. Il devient alors premier scripteur, transcripteur, marqueur et aussi un colporteur. Il se contente du conteur de circonstance, sans fonction ni condition, sans chanson et musique, ni talent. LH n’a pas rencontré un autre type conteur. Je veux dire un conteur professionnel dont c’est la fonction en échange d’un gîte et d’un couvert comme le troubadour-poète-chanteur français du moyen-âge ou le griot-poète-musicien africain, dépositaire de la tradition orale, ou l’aède-poète-chanteur grec, ou le barde-poète-chanteur celte célébrant les héros.

Ces contes ont donné à LH un tableau en raccourci de la Martinique. Y figurent, ses mœurs, ses manières, ses comportements, ses mentalités, son parlé, sa langue, sa géographie humaine et sociale, son humanité. Cette oralité secrète une mine d’informations sur le génie de cette jeune humanité à la croisée des chemins. La genèse du tout-monde est en ses plis. Dès lors, ce petit carnet avait un statut et nécessitait une attention. Le statut à défendre était clair. C’était celui de l’oraliture qui devrait avoir le même destin que la littérature. 

Au commencement était le verbe, la parole. Toute littérature prend sa source dans sa lente transcription. Aux Antilles, la transmission et le relais n'eurent pas lieu. Pénétrer ainsi « l'abysse de notre parole ancestrale »  se révèle être alors une haute mission laborieuse. L’écrivain créole de nos jours tente d'écouter la parole du vieux conteur et de l'habiter, se dédoublant, en marqueur de paroles. « Si l’écrivain parvient à convoquer la parole à ses côtés dans ces conditions-là, il peut alors commencer à écrire. » 

Quelles émotions partager avec vous rapidement pour les autres manuscrits ?

Avec M. Bon Koizumi, j’ai présenté le carnet de notes de Matsue à la télévision (France 5), venue à Matsue. Je lui ai promis de publier les deux carnets de note, celui de Waseda et celui de Matsue. Projets en cours.

Pour les lettres manuscrites du musée Ikeda. Les négociations sont aussi en cours. Aujourd’hui, vous avez l’exclusivité mondiale de courtes lectures. J’espère que vous achèterez donc mes livres, en masse, très vite !

 

La transformation des bibliothèques, espace et esprit. 

Qu’elle soit universitaire, publique, privée, la bibliothèque a une fréquentation qui diminue. C’est Mondial ! Au témoignage, de tristes statistiques (baisse des inscriptions, fréquentations, emprunts), de drastiques coupures budgétaires, de fermetures de bibliothèques urbaines/rurales, de grosses suppressions de postes. En France, le nombre de personnes inscrites baisse chaque année pour atteindre le seuil critique de 15 %. 

Les causes sont multiples. La mauvaise image : hors du temps, loin de la modernité, longs couloirs froids, gros livres moites. La jeunesse vit la bibliothèque comme la retenue de l’école, la prolongation de l’étude. Missions innovatrices et objectifs futurs fusent pour lui trouver une nouvelle identité et une meilleure visibilité. Certains spécialistes veulent éluder son nom bibliothèque, lieu de stockage de livres qui n’attire plus les jeunes. D’autres cherchent un logo pour ancrer la bibliothèque dans la ville comme la gare, l’hôpital, la  poste, …

La reconfiguration complète de son image de marque est sur le bureau des experts en stratégie marketing.  Comment transformer l’espace et l’esprit, trouver une nouvelle identité branchée, connectée aux réseaux modernes, reliée à la société ? « Innovate or die » Innover ou mourir

Quel nom, quel logo ?

Quelle innovation pour attirer le jeune d’aujourd’hui avec son pouce sur le portable vers la bibliothèque ? Je n’en sais rien. Mes étudiant(e)s me trouvent ringard. Comme une vieille bibliothèque. Je suis jeune. 

Je remercie les organisateurs et le public. En premier lieu, Mme Toshie Nakajima. And pardon my French

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Louis Solo Martinel
Université Waseda, Fuji Scène Francophone, Exote International

louissolomartinel@gmail.com 

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