Louis Solo Martinel

Litterratures francophones, Lafcadio Hearn, Théâtre

<06/08/2015

■Lafcadio Hearn, Martinique, Japon

Une littérature fantastique, loin géographiquement mais proche poétiquement

Introduction

Lafcadio Hearn (LH), écrivain anglais de parents gréco-irlandais, Homère et Protée de l’étrange, en précurseur de ce que j’appelle une tendance de Littérature mondiale, a recueilli des histoires insolites, des légendes fabuleuses, des contes fantastiques en Amérique, en Martinique et au Japon. 

Ce corpus me passionne profondément. Car il se prête à une couture narrative scénique particulière et aussi à une analyse littéraire poétique originale. Chaque fois que je relis ces histoires, contes et légendes, j’imagine la sensation, la réaction physiologique de LH en face de cette grande diversité exotique. LH et les contes du divers, c’est déjà une belle rencontre très particulière. Parce qu’il est né déjà d’un croisement de cultures et tout au long de sa vie, de ses voyages et de son oeuvre, il a montré une grande ouverture d’esprit et une étrange capacité à sentir le divers qu’il rencontra. 

Ainsi d’autres éparpillements, d’autres croisements culturels sont venus se juxtaposer sur ses perspectives littéraires. Les cultures européennes, américaines, antillaises, créoles et asiatiques coulent en lui par passage, transit, traduction. D’expériences sincères du voyage en frémissements de joie stupéfaite «le frisson», comme il aime l’appeler en français dans ses textes, il rassembla ces histoires éparpillées qui se ressemblent, se rapprochent, et, qui nous rapprochent. Puisque nous sommes ici, ensemble aujourd’hui, rapprochés par lui, pour lire, écouter, découvrir, analyser, comprendre ces histoires, ces contes et ces légendes. 

Précurseur alors d’une certaine créolité (premier marqueur de la parole créole), amoureux des belles Lettres françaises (traducteur de nombreux auteurs français) et avec son investissement final dans la culture japonaise, il nous propose une œuvre à reconsidérer aujourd’hui avec de nouveaux outils et regards critiques.  Ses récits de voyage Mon premier voyage en Orient (VO), Un voyage d’été aux Tropiques (VT) sont des perspectives exotiques. Ses histoires insolites, drôles Esquisses japonaises (EP), Esquisses martiniquaises (EM) sont des originales enquêtes. Et ses magnifiques contes fantastiques Au Japon spectral (JS), Kwaidan (KW), Kottô (KT), Trois fois bel conte (3BC), Contes des Tropiques (CT), Trois fois bel conte (TFBC), Contes créoles 2 (CC2) offrent de nombreuses pistes de comparaisons entre contenus, personnages insolites japonais et martiniquais. Son roman martiniquais Youma (YO) et sa nouvelle japonaise Kimiko dans Kokoro (KK) se frottent aussi aux comparaisons. Je cite ici que les traductions françaises que j’ai utilisées pour cette conférence. Les traductions des oeuvres de LH sont évidemment bien plus nombreuses. Ce sont autant de corpus qui permettent de mieux saisir l’œuvre d’un maître du divers et de la relation, premier exote et père de la Littérature mondiale. 

Condensés d’émotions, de frissons, de rires, ces contes mélangent sacré, profane, insolite, bizarre, étrange, effroyable, grotesque, comique, coquin pour le bonheur de tous, petits et grands, initiés et novices. 

Je vous propose de lire et entendre, d’analyser et comparer, de boire et manger, quelques-uns que j’ai sélectionnés pour vous des meilleurs crus et terroirs, distillés à façon dans les meilleurs bassins de l’oralité. 

«La Diablesse», la femme-fantôme des cannes martiniquaises et «Yuki Onna», la femme-fantôme des neiges japonaises, «Oshidori», l’oie sacrée des roseaux japonais et «Soukougnan», l’oiseau ensorcelé, des bambous martiniquais. 

Je vous ai concocté un plat délicieux, riche en émotions, frissons, rires et peurs. Mais avant de gouter au festin, de pénétrer le cénacle du conte, de prendre plaisir aux analyses profondes et aux comparaisons subtiles, je veux exprimer ma reconnaissance à toutes les personnes qui ont rendu possible cette rencontre. 

En premier lieu, Mme Toshie Nakajima, professeure à l’Université de Toyama et Mme Yuko Kuribayashi, bibliothécaire à L. Hearn Library de l’Université de Toyama. Et vous, chers auditeurs de Toyama, spécialistes ou novices de LH, recevez mon estime et mes sincères remerciements. Je veux aussi chaleureusement accueillir et remercier ma fille Rachelle Martinel qui m’accompagne. 

Je veux aussi exprimer ma joie d’être tout près de la bibliothèque privée de LH. C’est un précieux trésor d’environ 2500 pièces originales d’une immense diversité.

J’aime flâner, travailler autour de ce riche contenu (archives, manuscrits, inédits).

On peut y faire de nouvelles découvertes. Au témoignage, ces deux ouvrages étranges qui ont attiré mon attention juste avant de commencer ma conférence. L’un en français, l’autre en allemand, or, ils me ramènent aux langues antillaises. Du parler des hommes et du parler des femmes : dans la langue caraïbe écrit par Adam Lucien,  et Kreolische studien écrit par Schuchardt Hugo. Deux livres que LH a certainement achetés en Amérique, selon ses notes. Je reviendrai sur Toyama pour les étudier et tenter de comprendre comment ont-ils pu lui être utiles pour son étude et son écriture sur les Antilles. 

À chaque contact de ce même genre privilégié avec les nombreux ouvrages de LH, ses écrits (récits de voyage, contes, romans, nouvelles, traductions, manuscrits, …), ses lectures en quinze langues (grec, italien, espagnol, anglais, allemand, français, créole, caraïbe, indien, arabe, égyptien, perse, polynésien, japonais, chinois, etc,…), je ressent son souffle émerveillé devant l’immense diversité, sa puissante émotion face à la fabuleuse altérité, son enthousiasme fou devant l’exotisme bénéfique. 

Tout ce qu’il nomme avec pertinence Feuilles éparses de littératures étranges (FELE).  Feuilles éparses, éparpillements, croisements de cultures qui transitent en lui.  Transit facilité par son immense ouverture d’esprit. 

L’objectif de mes recherches est de reconsidérer l’œuvre de LH dans son éthique et son esthétique globales. Diffractée en plusieurs périodes résonnantes (américaine, antillaise, japonaise), branchée en maintes thématiques divers (exotisme, altérité, diversité, créolité) et étendue sur quelques domaines (littéraire, social, ethnologique, historique), son oeuvre tend à plusieurs objectifs, relève des tentatives plurielles, révèle aussi surtout différentes approches (abouties, abandonnées). 

Il s’agit de rendre possible la réactualisation de la lecture à la lumière des nouveaux outils de théorie de la culture et des nouveaux regards critiques sur l’œuvre, sur une nouvelle base d’étude d’histoire culturelle contemporaine. 

Mes recherches théoriques (universitaires) et pratiques (théâtrales) autour de son oeuvre m’ont permis de dégager l’altérité et l’exotisme, de reconsidérer, l’universalité, l’interculturalité et la transculturalité dans le large contexte de la relation et de la diversité, de repenser son esthétique en prospective d’avenir.

Et enfin, il convient de retrouver l’auteur, l’expérience sincère de son voyage, son projet et projeter sa vision depuis de fabuleux lointains dans une démarche insolite de retrouvailles avec soi-même.

Faut-il rappeler qu’il est né sur l’île de Leucade, Lefkadia (d’ou son prénom), d’une mère grecque et d’un père médecin anglo-irlandais (d’ou son nom), donc d’un croisement de cultures. Il serait plus original de mentionner qu’il était doté d’une étrange capacité à sentir le divers des autres éparpillements, des croisements culturels qu’il rencontra lors de ses nombreuses expériences sincères de voyage et des frémissements de joie stupéfaite face au corpus qui nous concerne aujourd’hui. De Leucade (Grèce) son île natale à Tokyo (Japon) sa destination finale, d’îles en exil, LH observa minutieusement le lieu et le lien, le paysage et le visage, le typique et la plastique des gens et des espaces qu’il côtoya en voyage. Sa curiosité était, à la mesure de son enthousiasme, sans bornes. 

Des critiques, des mauvaises langues ont dit qu'il porta un regard extérieur, étranger, exotique du passé (pour lâcher le grand mot) sur toutes ces contrées lointaines. Vrai ou faux ? Info ou intox ? Jugez vous-même ! Mais, ne vous laissez pas influencer par des lucarnes idéologiques. 

En un mot, grand public, relisez-le, avec un regard nouveau et public spécialiste, analysez-le, avec des nouveaux outils modernes théoriques (thématiques culturels et littéraires) et pratiques (dynamiques scéniques, cinématographiques). 

Il y a d’ailleurs très peu d’adaptations scéniques théâtrales (pièces, lectures) et cinématographiques pour la télévision, le cinéma (films, documentaires, reportages) et encore moins pour les nouveaux supports multimédias (youtube, …). 

Il y a le chef d’oeuvre de Masaki Kobayashi, belle adaptation de Kwaidan (1964). Film primé au Festival de Cannes, prix spécial du Jury (1965) et aux Academy Award, meilleur film étranger (1964). Il y a Yuki Onna de Tanaka Kokuzo (1968).   Les télévisions japonaises diffusaient aussi beaucoup de contes de LH. Ce qui n’est plus le cas, il me semble.

En Martinique, Aurore de la liberté (1955) pièce inspirée du roman Youma par Suzanne Césaire, femme du poète-politicien martiniquais Aimé Césaire est jouée par des jeunes amateurs. Le conte «Nanie Rosette» (1980) adapté par l’écrivain Vincent Placoly et interprété par le Téatlari (théâtre de rue) est diffusé à la télévision (RFO). Depuis ces tentatives, rien de nouveau ni au Japon, ni en Martinique. Et pourtant ! Il y a des perspectives dans ce domaine. Aux jeunes générations de trouver les énergies scéniques nouvelles contenues dans l’oeuvre de LH.

J’ai moi-même mis en scène ses contes, avec la troupe Fuji Scène Francophone. Des spectacles joués au Japon à Tokyo et à Yokohama en 2004 et en 2009. J’ai vu  un récital musical avec l’acteur Shiro Sano et le musicien Kyoji Yamamoto. Spectacles qui accompagnent les symposiums LH (Grèce, 2014), (Matsue, 2015), (Irlande, 2015), (Martinique, 2017~2018 ? En projet).   

L’oeuvre de LH nous offre un vaste domaine de recherches et d’immenses possibilités de productions. L’oeuvre de LH n’est ni passée, ni dépassée. Investir son oeuvre, c’est reconsidérer l’exotisme, c’est redécouvrir la diversité. À chaque voyage, il s'intéressa aux supports anthropologiques, à la littérature orale, écrite, traditionnelle, populaire, aux coutumes, mythes, légendes, religions et aux détails insignifiants mais significatifs. Il possédait un sens magnifique, magnétique de l’observation exotique et l’enquête anthropologique profonde. 

Ainsi, aux États-Unis, dans la ville légendaire de Cincinnati, son métier de journaliste lui permit d'approcher différentes cultures. Dans la chaude métropole de New-York, il explora les quartiers noirs en quête de traditions. Aux Antilles, il investit les contes traditionnels, les transposa pour y puiser l'essentiel des habitants, fit des portraits humbles de das (nourrices), de porteuses, lavandières de la mythique ville de Saint-Pierre. Au Japon, il ira au coeur (Kokoro) de la civilisation nippone en s’imprégnant des contes, légendes, traditions religieuses. 

L’exotisme que j’emploie est à hauteur de l’espérance de Victor Segalen. Ce qui contraint à concevoir l’exotisme comme une esthétique du divers, sa pureté originelle reconquise, dépouillé de ses oripeaux, de ses scories innombrables, de ses taches laissés par un tourisme niais, un exotisme de bazar des vieux poncifs. Segalen les nomme les proxénètes de la sensation du divers dans son ouvrage Essai sur l’exotisme (EE). Il oppose alors son «exote» à l’exotique poncif de bazar : «voyageur-né, dans les mondes aux diversités merveilleuses sent toute la saveur du divers». (EE, p.29). Dans sa note de lecture, je lis : «Lafcadio Hearn. Meilleur exote que je n’aurais cru». (EE, p.91) Ce qui me donne aujourd’hui le sceau officiel, l’autorisation du maitre, à chercher dans l’exotisme de LH, autre chose que l’exotisme touristique, un dépassement de l’exotisme. Si le père de l’exotisme moderne reconsidéré dans sa pureté originelle reconquise, le nomme ainsi, il a bien ses raisons. Plus qu'une quête exotique, c'est une quête de l’«exote» qu’entame LH. Denise Brahimi dans sa préface à la traduction de Koroko précise cette notion d’«exote» et confirme ainsi la pensée de Segalen «C’est la volonté d'atteindre, comme prix d'une quête passionnée mais respectueuse, ce qu'il  de y a d'essentiel dans la culture de l’autre». (Hearn, KK, p.8)

J’appelle alors perspective exotique toute possibilité née d’une expérience sincère du voyage. La rétrospective endotique serait en revanche (en retour, devrais-je dire), ce regard sur soi-même. Un voyage intérieur, une plongée dans l’abysse des souvenirs qui offre les possibilités d’un enracinement un peu plus en soi-même.  L’auteur français George Perec dans L’Infra-ordinaire (IO), définit «infra-ordinaire» comme l’envers de «extra-ordinaire» et «endotique» comme l’envers de «exotique» : «fonder enfin notre propre anthropologie : celle qui parlera de nous, qui ira chercher en nous ce que nous avons si longtemps pillé chez les autres. Non plus l'exotique, mais l’endotique». (Perec, IO, p.12) 

Nombreux auteurs approchant la notion d’exotisme en donnent les perspectives. Jean-Marc Moura, un grand spécialiste de l’exotisme, de la Littérature du voyage, en fait l’anthologie dans plusieurs de ses ouvrages. Pour aujourd’hui, j’ai consulté Lire l’Exotisme, 1992 (LE), Littérature des lointains. Histoire de l’exotisme européen au XXe, 1998 (LLEE), L’Europe littéraire et l’ailleurs, 1998 (ELA), Exotisme et lettres francophones, 2003 (ELF). 

Dans son essai Lire l’Exotisme, J.M Moura nous apprend, contre toute attente, que ni L’Ancien Testament, ni La Quête du Saint-Graal (Auteur anonyme, 1200-1230) ne contiennent de  l’exotisme et que les éléments exotiques de L’Iliade et l’Odyssée sont insuffisants pour correspondre à la définition de l’écriture exotique. Il nous invite alors à considérer comme ancêtres de l’exotisme naissant, Hérodote (Histoire, vers 445 av JC), «Hérodote, l’historien, le voyageur, le chroniqueur à la curiosité inépuisable» (Said, LOR, p.74) qui  vante la planète parcourue et le compte rendu du voyage, puis le grand voyageur Marco Polo (Le Livre des Merveilles, 1298, 1301), enfin Rabelais (Le Quart Livre, 1548). L’exotisme n’est pas dominant dans ces récits de voyage, c’est la relation de voyage qui enchante le merveilleux : «La relation de voyage est la forme la plus ancienne de l’écriture exotique» (Moura, LE, p.28). 

Les perpectives exotiques, selon les plus grands auteurs, sont diverses. Montaigne conçoit un «voyage éducatif» pour «frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui» (Essai I). Montesquieu y voit les «lumières», Baudelaire, l’«Invitation au voyage» des Fleurs du Mal  et d’ «étonnants voyageurs (…) vrais voyageurs qui partent pour partir» (Correspondances, Le voyage). 

Une perspective exotique se dégage dans La Poétique rêverie, 1961 (PR) de G. Bachelard, quand il préfère la rêverie (activité de veille) au rêve (activité de sommeil). «Rêverie qui s’attache à un espace lointain et se réalise dans une écriture» (Moura, LE, p.4). L’auteur Victor Segalen nous sensibilisera plus tard avec un lexique conscient particulier : «Sensation d’Exotisme / Conscience exotique / Esthétique du Divers, …». (EE)

Sentir l’exotisme est aussi le «savoir» précis et précieux des poètes voyants. L’écriture de l’exotisme est une poétique de l’errance pour l’écrivain-voyageur. Marguerite Youcenar insiste sur les facultés nécessaires pour ressentir l’exotisme : «Il faut dans le voyage comme dans tout, des aptitudes contradictoires : de la fougue, une attention soutenue, une certaine légèreté, “Car, les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent pour partir, légers, semblables aux ballons …” le goût de se plaire au spectacle extérieur des choses, et l’intention    bien arrêtée d’aller par-delà ce spectacle pour parvenir à voir les réalités souvent cachées. Tout voyageur est Ulysse; il se doit d’être Protée.» (Yourcenar, Les yeux ouverts, 1980, (LYO) p.306) 

D’autres perspectives exotiques immenses s’offrent au voyageur. Citons au passage :  l’investigation ethnographique (Levi Strauss), l’écriture de l’altérité (Levinas, Todorov, …), la Relation (Glissant), l’enquête anthropologique (Francis Affergan). 

Devant cette grande crise que traverse l’ethno-anthropologie, Francis Affergan, dans son essai Exotisme et Altérité (1997) (EA) veut dépasser l’écriture de la différence, de l’autre. Partant de la «Phénoménologie de l’esprit» de Hegel, le professeur de philosophie propose sa «Phénoménologie de la conscience exotique». Désirant dépasser la «conscience exotique» de Segalen, le professeur d’ethno-anthropologie propose sa «conscience de l’altérité exotique» pour nous faire entendre l’exotisme différemment : «comme une pulsion de curiosité, au double sens de désir de savoir et de prendre soin de». (EA, p.15) Affergan investit un mode d’enquête insolite en ethno-anthropologie et une immense et moderne perspective exotique : «la phénoménologie de la conscience exotique».

Je ne vais pas développer ses objectifs complexes. Je veux seulement rappeler les buts que l’auteur résume en page de garde de son ouvrage. Cela consiste à «examiner des pratiques et des comportements laissés pour compte : le regard, le visage, la couleur, la qualité, l’énonciation, le dialogisme, le partage.» (EA, p.1) Il s’agit d’observer “les domaines” évacués par les récits de voyage et autres discours ethno-anthropologiques, soucieux de traquer la différence au détriment de l’altérité. Il s’agit de vivre l’exotisme, la diversité, l’altérité, l’ailleurs, l’autre en conscience et en respect. Quelle relation entre cette nouvelle perspective exotique de F. Affergan et notre LH. J’ose penser que LH a ainsi observé d’insolites “inscriptions, domaines, comportements”.

On peut aussi citer l’humanité de l’exotisme et la «géopoétique» de Kenneth White. Arrêtons-nous sur cette dernière forme. C’est en effet «la manière même dont l’homme fonde son existence sur la terre. Il n’est pas question de construire un système mais d’accomplir, pas à pas, une exploration, une investigation en se situant, pour ce qui est du point de départ, quelque part entre la poésie, la philosophie, et la science.» (White, PA, p.12) Ainsi une nouvelle signification du voyage (autre perspective exotique) est à la disposition de l’écrivain-voyageur. 

Une autre forme fascinante, surprenante séduit écrivains et spécialistes de l’exotisme. Le professeur Moura accueille avec joie et surprise cette perspective : «Le “voyage rétrospectif” est une affirmation de la force de la littérature (…) elle seule peut transformer un voyage en légende, (…) L’heureuse surprise peut venir de là : l’exotisme n’est nullement un phénomène du passé. Le récit de voyage comme le “voyage rétrospectif ” (une forme très ancienne et une forme postmoderne) affirment l’importance du périple pour la conscience contemporaine et problématisent notre relation d’Européens aux autres cultures.» (ELF, p.41) Forme d’enquête appliquée par certains écrivains voyageurs : J.M.G Le Clézio, Le Chercheur d’or, Raga.

Après ce long relevé, abordons la perspective exotique de LH : «Le mot français frisson exprime mieux qu’aucun terme anglais ce vague tressaillement de tout l’être, comme si un toucher surnaturel vous faisait frémir des cheveux jusqu’aux pieds, que produit parfois le plaisir intense et que l’on ressent le plus souvent et aussi le plus fortement, pendant l’enfance, alors que l’imagination est encore si puissante et si sensible que l’être tout entier tremble à la vibration d’un souvenir. Et il me semble que ce mot électrique exprime mieux que tout autre ce long frémissement de joie stupéfaite qu’inspire le premier contact avec le monde tropical, une sensation d’étrangeté dans la beauté, pareille à l’effet que produisent dans l’enfance des contes de fées et des histoires d’îles fantômes. (…)» 

(Hearn, Pa Combiné Chè, CT, p.183)

 

Ce fameux «frisson», je vous en ai déjà parlé. Cette sensation étrange ressentie au coeur des merveilles du nouveau monde. C’est donc sous le signe d’une poétique du ressenti que LH place sa rencontre. 

Rencontre de l’ailleurs, l’autre mais rencontre de soi. Découverte de l’exotisme mais découverte de soi. Rencontre avec le divers mais rencontre avec soi-même. «Moi même et l’autre, nous nous sommes rencontrés ici, au plus reculé du voyage». (Segalen, EQ) Citation qui illustre assez bien l’expérience de LH. Partir à la recherche d’un ailleurs, c’est aussi partir à la recherche de soi-même. «quitter un point, c’est commencer déjà à s’en rapprocher ! (…) Les pôles ne sont que fiction» (Segalen, EE, p.52) 

C’est sous le signe de double sensation extérieure/étrange et intérieure/étrange qu’il place son expérience. La confusion des sensations, le frémissement face au spectacle nouveau des tropiques d’un coté, et la vibration des souvenirs de l’enfance de l’autre, est l’occasion pour lui de constater de la perspective exotique qui s’offre à ses yeux. 

C’est une immense perspective d’un retour sur son passé, d’un voyage intérieur. C’est ce que j’appelle par une hideuse construction : la rétrospective endotique. Remarquons avec pertinence que le dictionnaire n’a pas prévu de mot précis pour dire l’inverse de “exotique et exotisme”. Perec ose l’hideux néologisme, récupérons-le !

Le voyage a un recto exotique et un versant endotique. Le spectacle du lieu a un recto du décor et un verso du divers. L’enquête sur l’autre révèle la quête de soi. L’’histoire d’Hérodote a Le miroir d’Hérodote d’Hartog. «La durée exotique est la seule qui puisse se reparcourir à l’envers.» (Affergan EA, p. 105) C. Colomb disait déjà curieusement «Quant à ces Indiens que j’emmène avec moi, je les comprends souvent à l’envers» (Colomb, COC, p.91). Yourcenar nous livre aussi sa version rotative de l’endotique : «Mais tout voyage, toute aventure (au sens vrai du mot = ce qui arrive) se double d’une exploration intérieure. Il en est de ce que nous faisons et de ce que pensons comme de la courbe extérieure et de la courbe intérieure d’un vase : l’une modèle l’autre. (Yourcenar, LYO, p.305) 

Segalen nous éclaire sur le divers de LH. «Je conviens de nommer “Divers” tout ce qui jusqu’à aujourd’hui fut appelé étranger, insolite, inattendu, surprenant, mystérieux, amoureux, surhumain, héroïque, et divin même, tout ce qui est Autre ; - c’est-à-dire, dans chacun de ces mots de mettre sa valeur dominatrice la part du Divers essentiel que chacun de ces termes recèle». (Segalen, EE, p.82) 

Des contenus de LH autour des Dieux et des Esprits (Japon, Antilles) ne sont-ils pas du registre de ce «Divers essentiel» annoncé en amont par Ségalen ? Ce que nous verrons lors des lectures des extraits ci-dessus. Il y a des perspectives exotiques et des rétrospectives endotiques dans les récits de voyages. Pour argumenter mon propos, je me baserai sur Un voyage d’été aux Tropiques et Mon premier voyage en Orient, mais d’autres textes peuvent aussi être convoqués aux comparaisons. Dans ses récits de voyages sur l’archipel caraïbe comme ceux sur l’archipel nippon, j’ai trouvé d’excellents parallèles sur la mentalité, la topographie, la mer, la littérature fantastique, …) entre le Japon et la Caraïbe. L’archipel caraïbe est aux antipodes de l’archipel nippon, séparés par des distances, des continents et des océans mais on peut les rapprocher. 

Avant de débarqué au Japon, LH séjourna en Martinique (1887-1889). Il nous promène dans le vieux Saint-Pierre avec toute sa singularité, sa saveur particulière. Un monde nouveau pour lui et ses lecteurs qu’il entrevoit au détour de ballades remplies de discussions avec son cher ami, le notaire Léopold Arnoux (il lui dédicace (VT) en français «En souvenir de nos promenades»), sur les problèmes politiques, culturels, sociaux, de la population de Martinique. Monde merveilleux qu’il voit lors d’escalades du Mont Pelé, chargées d’anecdotes de son ami, le guide Louis, sur le folklore, la faune, la flore de Martinique. Un Monde qu’il entrevoit alors tantôt naïf et enfantin, souvent tragique et fragile. Pour plus de précisions sur sa période antillaise, on consultera les oeuvres en français : Esquisses martiniquaises, Un voyage d’été aux Tropiques, Contes des Tropiques, Contes Créoles II, …

C’est le même mangeur d’impressions, de frissons qui débarque à Yokohama, un matin d’avril 1890. Il visite les lieux légendaires, le quartier étranger. Puis, il s’enfonce dans les provinces des Dieux (Kumamoto, Matsue, …), pour finir à Tokyo. Pour plus de précisions sur sa période japonaise, on consultera les oeuvres :  Esquisses japonaises, Kwaidan, Au Japon spectral, Mon premier jour en Orient, …

 

I/ Perspectives exotiques et rétrospectives endotiques dans les récits de voyages

Extraits pour illustrer la double sensation extérieure/étrange, intérieure/étrange.

Lorsque vous vous trouvez pour la première fois, par un jour sans ombres, à Saint-Pierre, la délicieuse ville des Antilles, pour peu que vous ayez le sens de la poésie et des souvenirs classiques, il se glissera dans votre imagination une impression de “déjà vu”, il y a très, très longtemps de cela, vous ne sauriez dire où. Cette sensation est comparable à celle d’un rêve, d’un rêve très heureux, dont vous n’avez gardé qu’un souvenir imprécis. (…) Et toujours vous interrogez votre souvenir : “Quand ? Où ai-je déjà vu tout cela … autrefois ?” (…) Alors brusquement le secret de votre rêve se révèle à vous avec l’évocation de nombreux souvenirs lumineux : - rêves des Idyllistes, fleurs des vieilles chansons siciliennes, fantaisies gravées sur les murs de Pompéi. Un moment cette illusion est délicieuse ; - vous comprenez comme jamais vous ne l’avez encore compris, le charme d’un monde disparu, la ville antique, l’histoire des terres cuites, des pierres gravées, et de tous les objets gracieux exhumés des fouilles. Le soleil lui-même n’appartient pas à aujourd’hui mais à vingt siècles passés. C’est ainsi et sous cette même lumière que marchaient les femmes du monde antique. (…) Et, instantanément, vous vous rendez compte que la langue mélodieuse que parlent les passants n’est ni hellénique, ni romaine: mais simplement le beau parler enfantin des esclaves français. (Hearn, Les porteuses, EM, p.11)

La perspective exotique se construit par la seule vue de la ville de Saint-Pierre.    Sensation étrange, pulsion de curiosités (désir de savoir) et de frissons (ressenti). La rétrospective endotique construit la sensation d’être dans une ville antique hellénique ou romaine. La seule vue de la ville de Saint-Pierre apparaît tel un mirage hors d’un passé, le souvenir imprécis serait ses souvenirs d’enfance, de sa Grèce natale, et de ses lectures de livres d’images sur la ville antique. La démarche des femmes (les porteuses dont il nous laisse l’une des plus belles descriptions) le fascine. Le parler, la langue mélodieuse (le créole), lui rappelle des chants siciliens certainement chantées par sa mère. Cette sensation comparable à un beau rêve, lui donne l’opportunité d’évoquer la ville antique, et de l’imaginer non pas disparue, mais réapparue vivante et réelle. C’est d’une certaine manière un voyage au versant de l’exotisme, vers l’endotique.

Et tout à coup, tandis que je me tiens devant ce portail si bizarrement sculpté, il me vient une sensation singulière, une sensation de rêve et de doute. Il me semble que les marches et la grille grouillante de dragons, et le ciel bleu qui s’arque au dessus des toits de la ville, et la beauté surnaturelle du Fuji-Yama, et ma propre ombre qui s’étend sur la maçonnerie grise, tout devra disparaître bientôt. Pourquoi ce sentiment ? Sans doute parce que les formes devant moi, les toits des courbes, les dragons tourmentés, les grotesqueries de sculpture chinoise ne me paraissent pas vraiment des nouveautés, mais des choses rêvées : leur vue a dû réveiller des souvenirs oubliés de livres d’images. (Hearn, Ma première journée en orient, JP, p.593)

L’impression de sa première journée, du quartier européen au port de Yokohama vers la ville japonaise construit la double sensation exotique/endotique par une technique identique qu’en Martinique. Les vues (perspective exotique) réveille les souvenirs de livres d’images qui ont peuplé son enfance (rétrospective endotique). Cette double sensation est précise, profonde dans un autre texte La chanteuse de rue. Une chanson interprétée par une aveugle (perspective exotique) a éveillé en lui un vieux souvenir d’un soir d’été dans un parc londonien ou il avait entendu une jeune fille dire bonsoir à un passant (perspective endotique). 

Cependant aujourd’hui encore, le souvenir de ce “bonsoir” me cause un incompréhensible tressaillement de plaisir et de douleur mêlés que je ne peux rapporter à ma propre vie, mais seulement à des existences antérieures, sous des soleils éteints. (...) C’est ainsi que le chant d’une aveugle dans une ville d’Extrême orient peut faire revivre dans l’âme d’un Occidental des émotions puisées bien au delà de sa propre personnalité, échos lointains de souffrances défuntes, mystérieux élans d’affection d’ancêtres immémoriaux. (Hearn, La chanteuse de rue, KK, p.44)

II/ Le Sacrifice comme une dégustation positive du Divers dans les romans et les nouvelles 

Maintenant, je vous propose des extraits de romans et nouvelles pour illustrer ce que j’appelle la dégustation du Divers. Plaisir d’exil, expérience sincère du voyage, enquête anthropologique, quête exotique et j’ose ajouter, quête érotique. Le champ féminin est un axe important dans son oeuvre que j’aborde dans mes recherches. LH décrit dans plusieurs de ses ouvrages des figures féminines inoubliables, avec leur humble courage, et cela sans misérabilisme. Sa curiosité pour la figure féminine est grande. Figures féminines (noire américaine, antillaise, japonaise) qui ont une importance dans son oeuvre. Il éprouva une véritable affection pour les femmes de toutes les civilisations qu'il côtoya lors des voyages et lectures. Dans certains ouvrages que j’ai étudiés, il se fait l'interprète le plus fin, le plus sympathique et le plus respectueux des âmes féminines.

Pour la période antillaise, le célèbre roman Youma raconte l'histoire d’une Da (bonne noire d’enfants blancs) (1e sacrifice) qui périt dans les flammes d'une révolte d’esclaves en s'opposant à son amant et à ses frères exaltés pour sauver sa petite protégée (2e sacrifice). «Cette histoire est une vraie substance» (Hearn, YO, p.10) dit-il. Dans ce livre, il a été sensible (jusqu'à choquer certains) à la vie “difficile” des femmes et des filles des colons blancs du 18-19e, abandonnées, en mal d’amour : «La vie monotone et demi cloîtrée des femmes créoles des colonies françaises (…) les demoiselles du siècle dernier furent renommées, dans le monde entier, pour leur charme, leurs jolies manières et leurs singulière beauté.» (Hearn, Femmes créoles des Antilles Françaises, YO, p. 181). 

Pour la période japonaise, la nouvelle Kimiko (Kokoro) retrace l'histoire de Kimiko et de son double sacrifice. Kimiko et sa mère sont victimes de la révolution sous l'ère Meiji et du déclin des familles samouraï. Kimiko est condamnée à se vendre comme geisha (1e sacrifice) et à disparaître (2e sacrifice) et sacrifiant aussi ses sentiments. Ce qui passionne LH dans cette histoire, c'est l'oubli complet du moi et le caractère fécond du sacrifice dans la conception de la morale bouddhiste.

Le fait étrange que LH eut consacré ses deux seuls romans Chita et Youma à transcrire des figures féminines symboliques, légendaires, mythiques, m'a longtemps préoccupé et me préoccupe encore. Dès lors, une réflexion s’impose sur le regard que cet auteur-voyageur-errant-rêveur porta sur et autour du monde féminin des civilisations qu'il rencontra. Ce constat soulève les problématiques : la valeur de l'omniprésence de la figure féminine et la mise en scène des sujets féminins mythiques et légendaires. Il y a une image féminine, maternelle dans sa poétique, voire une polarité inhérente entre sa poétique et la projection de l’image féminine, maternelle. Ce n’est pas le sujet, je ne m’étend pas, mais j’ai comparé deux figures féminines Youma/Kimiko idéalisées par LH. J’ai présenté mes travaux au Japon en 1998, en Martinique en 2001, 2002, lors de colloques internationaux sur LH que j’avais organisés. Depuis, j’en tire une conclusion pertinente et précieuse. LH conçoit le sacrifice comme esthétique sous morale bouddhiste comme Ségalen : «Le sacrifice comme la dégustation positive du Divers» (EE, p.74) Le sacrifice, profitable à l’Autre, acte désintéressé, vrai plaisir n’est ni réducteur ni négatif. LH est fasciné par la beauté et la puissance, le «Divers» et le «Divin» de l’acte de ses héroïnes qu’il idéalise jusqu’à déguster leurs gestes (au féminin). 

III/ Universalité, Diversalité, Transculturalité dans les contes fantastiques

Les contes fantastiques recueillis en Martinique et au Japon présentent des ressemblances, offrent des comparaisons fascinantes. Ce rapprochement est tellement étonnant qu’il m’arrive de penser que l’auteur lui-même en personnage assure la couture narrative sur scène. Sensations fortement ressenties pendant les deux spectacles : Le mangeur de frissons (2004) (LMF) et L’odyssée de l’étrange (2009) (LOE). Deux pièces de théâtre que j’ai dirigées avec la troupe Fuji Scène Francophone pour célébrer LH. Une distribution internationale (anglophone, francophone, créolophone, japonaise) assurait l’authenticité (langue, gestuel, univers, code, esthétique, sens) des contes fantastiques pour faire frissonner de plaisir et de peur grands et petits. 

Esquisses japonaises, Kwaidan, Le Japon, Esquisses martiniquaises, Contes des Tropiques, Contes Créoles 2, sont des recueils d’histoires, des condensés en émotions, rires, frayeurs, frissons. Ils mettent en scène des personnages originaux qui évoluent dans des univers bizarres, étranges, étrangers et même divins. 

Notre démarche est de montrer comment les personnages originaux des contes japonais «Yuki Onna», «Oshidori» se frottent aux personnages insolites des contes martiniquais «La Diablesse», «Soukougnan». Si on avait du temps, on aurait pu ajouter les histoires fantastiques américaines et celles d’auteurs français traduits par LH. LH a rassemblé ces contes et nous invite à partager son célèbre «frisson», que nous avons déjà longuement défini. Cette sensation d’étrangeté au coeur des merveilles des spectacles des nouveaux mondes. 

Je me passionne à comparer/rapprocher le corpus japonais et créole dans une démarche théorique (universitaire) et dans une approche pratique (scénique, théâtrale). Pour une lecture scénique, artistique et dynamique, aisée, simplifiée et pas trop longue, les citations seront issues du scénario de la pièce L’odyssée de l’étrange (2009). Ceci afin de faciliter la comparaison des contenus, cadres, personnages, décors, des contes «La Diablesse», fantôme des cannes martiniquaises et «Yuki Onna», fantôme des neiges japonaises, «Oshidori», l’oie sacrée de la forêt japonaise et «Soukougnan», l’oiseau ensorcelé des bois antillais. Cependant, j’ai pris soin de mettre les textes originaux de LH en traduction française dans les notes en fin de communication.

La Diablesse, est une beauté fatale, fantôme des champs de cannes verdoyantes des bassins martiniquais. Charmeuse, elle apparait soudainement dans un décor chaud et suffocant, lors d’un effroyable silence en plein midi calme léthargique. «Sous le soleil étouffant de midi. (…), souvent, à cette heure, vous vous croyez seuls, tranquilles, mais vous sentez une présence, derrière vous, autour de vous. Vous ne la voyez pas. Non ! (…) Vous ne l’entendez pas. Non ! (…) Vous la devinez. (…) Pas assourdis, mouvements élastiques, d’un corps souple, sourdes oscillations de vêtements légers. (…) Une soudaine conscience, une étrange sensation en plein jour d’une troublante invisible présence vivante.» (Martinel, Odyssée de l’étrange, 2009)

Yuki Onna est aussi une beauté fatale, fantôme des côtes japonaises couvertes des neiges blanches. Fantôme des neiges et charmeuse, elle apparait dans le calme d’une frissonnante et froide nuit, dans un décor effrayant à minuit. «Un soir glacial, Mosaku et Minokichi s’en retournaient chez eux lorsqu’ils furent surpris par une violente tempête de neige. (…) Dans une clarté intense de la lumière de neige (yuki akari), Minokichi distingua une femme, tout de blanc, (…).» (Martinel, Odyssée de l’étrange, 2009)

Le Soukougnan est un oiseau ensorcelé des grands bois verdoyants martiniquais. On ne doit ni le tuer, ni le manger. «Par une nuit noire, près du balisier, la fleur aux trois trèfles rouges, un chasseur vit une étrange lumière. Il eut peur, recula puis s’approcha. Un bel oiseau était perché sur une pierre. Ses plumes avaient la couleur des jours passés, ses ailes, la lumière de l’éternité, ses yeux magnétiques, injectés de feux maléfiques, son bec, l’odeur d’odyssées mystérieuses.»

(Martinel, Odyssée de l’étrange, 2009)

 

L’Oshidori, oie sacrée de l’étang rouge (Akanuma). Interdit de le tuer, le manger. «Loin, dans la brume de la nuit tombante, Sonjô aperçut un couple de canards sauvages, des oshidoris qui nageaient paisiblement, côte à côte. Tuer des oshidoris porte malheur songea-t-il. Mais le pauvre chasseur avait très faim et ne pensa plus aux conséquences. Alors, il tira son arc et visa le couple. La flèche traversa l’espace et transperça le mâle. (…) La femelle parvint à s’échapper et disparut parmi les hauts roseaux qui bordaient le fleuve. (…) Sonjô rapporta son butin chez lui, le fit cuire pour le repas du soir. Il alla se coucher. (…) Cette nuit-là, il fit un rêve étrange. Une jeune femme très belle entrait dans sa chambre, elle pleurait éperdument et ses larmes étaient si amers que Sonjô qui l’écoutait crut son cœur allait se briser de chagrin.» (Martinel, Odyssée de l’étrange, 2009)

Auprès des aspects universels des contes, nous pouvons apprécier les aspects «diversels» de leur originalité (habillage, langue, cadre, code, esthétique, éthique). Les contes fantastiques sont universels, car ils disposent de fonctions universelles. Ils sont «diversels», car ils illustrent des contextes et esthétiques diverses propres. LH en relevant des contes martiniquais et des contes japonais à la même période (fin XIXe) rapprochent leurs poétiques, leurs esthétiques. 

Des textes et contextes aux antipodes géographiques mais poétiquement proches.Bien sur, tous les contes du monde se ressemblent. Je ne vais pas en entamer la démonstration de manière académique du cadre, des fonctions universelles, ni de la morphologie universelle des contes selon Vladimir Propp, Bruno Bettelheim, C.G Jung, … et bien d’autres auteurs qui ont écrit sur le conte. Je ne vais pas pousser la démonstration sur les mythes, contes et légendes comme modes d’expression des complexes primitifs et de l’inconscient, comme formes de projection des fantasmes et des traumatismes et comme lieux de cultures et espaces complexes de la conservation des mécanismes de la pensée primitive, de la mythologie terrifiante. LH n’avait aucun doute sur leur caractère et leur grande valeur d’enquête ethnographique. Cependant, permettez-moi de revenir sur certains aspects du conte nécessaires à ma démarche. Pour réactualiser la lecture des écrits de lH à la lumière d’une part de la notion incontestée de «l’universalité» et de celle de «L’exotisme» que l’on croit périmée (mais je crois à son dépoussiérage) et d’autre part d’une nouvelle notion «la diversalité» magnifiée d’abord par l’écrivain-voyageur français Victor Segalen puis par le philosophe martiniquais Edouard Glissant et ce nouvel outil de théories de la culture, le concept plus récent de «la transculturalité».

«Il était une fois, il y a très longtemps», «Téni an fwa, ni lontan, lontan», «Once upon a time», «Mukashi, mukashi, mukashi aru tokoroni», tous les contes du monde dans toutes les langues commencent par cette ouverture dont Apulée dans Les Métamorphoses faisait déjà usage «Erant in quadam civitate rex et regina». Ouverture qui plante le décor d’un espace-temps poétique, lieu vague, passé hors calendrier où l’oralité se faisait maîtresse des lieux, dépositaire des secrets et s’adonnait sur la scène de la place publique à des joutes oratoires, en ce temps fabuleux d'avant l’écriture. 

Introduction qui permet de «passer, transiter» la culture, la langue, le langage et de «dépasser» la frontière du temps et de l’espace. Formule qui témoigne de l’universalité, de la transculturalité, de l’intertextualité. Nous sommes informer de son caractère hétéronome, de sa voltige intertextuelle permanente, mémoires orales disséminées, paroles qui s’entrechoquent, sources inaccessibles. Les contes fascinèrent LH sans doute parce qu’ils constituent un support privilégié dans lequel s’harmonise une belle résonance universelle, transculturelle, intertextuelle. Ils forment les voix lointaines, les échos profonds des esthétiques de l’exotisme et du divers, défendues par Segalen.

l’universalité des contes est facilement confirmée. Qu’en est-il de la diversalité ? Il convient d’aborder les habillages, cadres, codes, esthétiques, éthiques qui donnent aux contes martiniquais et aux contes japonais leurs cachets originaux. Le conte créole de par son originale carte génétique (gènes africains, européens, amérindiens, indiens, ect, …), impose la récupération, la réappropriation comme une nécessité nous dit le philosophe Martiniquais Edouard Glissant. 

L’étude des contes recueillis par LH en Martinique en 1887-89 nous éclaire sur la dimension de cette opération de récupération, la transculturalité des sources, la transversalité des symboles d’Afrique, d’Europe, d’Asie, des Amériques-Caraïbes. Cette investigation nous renseigne aussi sur les passionnantes transformations (réductions, déformations, assimilations, substitutions, amplifications), selon la classification de Vladimir Propp, subies par les contes créoles au fil du temps, au gré des graines et des origines, des modèles et des textes originels et de leurs corollaires : les procédés d’imitation et les interprétations, les variantes et les variations. 

Nous pouvons déjà remarquer que l'interprétation moderne des contes peut-être au service d’une idéologie, d'un idéal, d’un idéel, d’une revendication, d’une contestation, d’une révolution. Elle suit les évolutions du temps et du monde, les progrès des époques et des hommes, les débats des siècles et des humanités. Plusieurs lectures du conte martiniquais Soukougnan et du conte japonais Oshidori sont donc possibles. On peut y voir par leurs contenus religieux et mystérieux, un message religieux : catholique, l’oiseau Soukougnan dispose de traits profanes (ensorcelé), bouddhiste, le canard Oshidori a des caractères sacrés (Sonjô devint prêtre). On peut percevoir dans une approche moderne un message «postécologique» :  protection des oiseaux rares en voie de disparition face à la gourmandise, à la faim des hommes et la spéculation, la rapacité des industrialisations outrancières. L’oiseau Soukougnan ressemble étrangement au grand perroquet aux plumes magnifiques (plumes aux couleurs du passé), les Oshidoris paisibles et fidèles ressemblent aux oies des marais, aux canards des étangs, aux cygnes des lacs. 

Le conte créole «La Bleu» (Trois fois bel conte) recueilli aussi par LH est «postécologique». Il retrace l’histoire du triton bleu (homme-sirène) amoureux d’une jeune fille. Son père-pêcheur découvre le secret et le triton bleu finit tragiquement harponné. Il spécule sur la fortune que lui rapportera ce poisson rare et cher. Il le découpe en morceaux, le prépare en filet, steak, carpaccio soupe, bouillabaisse, croquette, court-bouillon, blaff, bluefin sushi, sashimi causant la désolation de sa fille. 

Au delà du caractère fantastique du conte, nous sommes en face d’une forme de dénonciation de catastrophes écologiques de notre temps : le pillage massif des fonds marins et l’extinction lente des vies marines. «La Bleu» symbolise le gros thon ou le grand espadon en voie d’extinction. Les causes sont connues : pêche, spéculation, consommation outrancières et prix, enchères, records exorbitants. «Japon: thon rouge 222kg/1,38M€, 6000€/kg, 260€/sushi mais offert à 4€ (Le monde.fr, AFP, 05.01.13) Thon ou Espadon, bleu, blanc, rouge ou jaune, du Pacifique ou de l’Atlantique, l’ami «The king of all fish» d’E. Hemingway est en danger. Il trouve en LH, avant la lettre, une plume à leur cause, une voix passionnée de biodiversité.

On peut aussi suivre ces contes d’un point de vue de la morale et de la punition. La Diablesse et Yuki Onna ont des caractères mystérieux. Elles sont incontestablement des fantômes, des esprits maléfiques. Elles possèdent un capital de beauté, un dispositif de séduction et provoquent le désir du sang libertin. Elles distribuent la fatalité maximale : la mort. On peut ainsi considérer la fin tragique du conte martiniquais La Diablesse et du conte japonais Yuki Onna comme une damnation pour des hommes qui succombent à la tentation, à la luxure et à la légèreté. Cela fonctionne aussi comme une lourde condamnation pour ceux qui franchissent les limites du temps et de l’ espace et du climat. Nous sommes loin, dans la forêt glaciale de la province de Mushasi. Kwaidan de Masaki Kobayashi et Yuki Onna de Tanaka Kokuzo le montrent. Des univers spéciaux (yeux, lèvres, sourires dans les nuages), nous fait entrer dans une 3e dimension hors des limites de notre temps-espace et notre climat. Yuki Onna, est esprit du monde des morts et Minokichi y est passé. Il doit sa vie sauve qu’à son jeune âge et à la générosité limitée de Yuki Onna. (élément maternel important. Voir II).

LH décrit de fabuleuses scènes de la fin tragique et fatale du conte La Diablesse : «(…) le gris perlé des hauteurs lointaines se mue en un bleu profond là (…) le fauve des cannes à sucre prend un chaud ton rougeâtre (…) la grande face orange du soleil (…) l’ondulation de prodigieuses plumes noires (…) l’obscurité funéraire (…) l’horreur spectrale du visage (…) l’éclat de rire hideux (…)» (Hearn, La Diablesse, EM, p.110-114). Un univers antillais qui ressemble au conte japonais. J’ai essayé de dessiner ces lumières et ces univers dans mes pièces de théâtres : Le mangeur de frissons (2004), L’odyssée de l’étrange (2009), mais je rêve d’un cinéaste fantastique qui les porterai à l’écran.

La rencontre évolue de façon identique entre la femme-fatale-fantôme Yuki Onna et sa jeune victime, innocente et naïve, Minokichi et entre la femme-fatale-fantôme La Diablesse et sa jeune, innocente et naïve victime, Fafa. Ils se rencontrent pour la première fois dans un espace-temps-climat mystérieux, fabuleux, extra-ordinaire. L’identité des deux femmes fantômes reste un mystère et un secret. La révélation de l’identité mystérieuse a des conséquences fatales, tragiques : le regard curieux de Minokichi est suspicieux, toutes paroles curieuses des voisines sont dangereuses. La révélation du secret par Minokichi cause le départ de Yuki Onna, il est condamné au silence pour l’éternité sous peine de mort. Il a la vie sauve grâce aux enfants (élément maternel important. Voir II). Gabou regarde la Diablesse, l’indéfinissable le terrifie, il se signe, se sauve. Fafa s’enroule, s’enrôle, la suit, escalade la Pelée. Dans un espace-temps étrange, il découvre l’horreur spectrale du véritable visage de La Diablesse, il est trop tard, l’issue fatale : la mort l’a déjà touché. 

Pour aller plus loin 

Le conte créole est en quelque sorte absorption et transformation totale.  Intertextualité, contact, fusion entre systèmes culturels et langagiers autonomes. Par mécanisme de créolisation, l’intertextualité se déplace vers la transculturalité. Processus articulé dans ce que Bhabha nomme dans son livre Les lieux de la culture : «Ces espaces “interstitiels” offrent un terrain à l’élaboration de ces stratégies du soi singulier ou commun qui initient de nouveaux signes d’identité et des signes innovants de collaboration et de contestation dans l’acte même de définir l’idée de société.» (Bhabha, LC, p.30) L’essayiste indien distingue «la localité de la culture qui tourne davantage autour de la temporalité que l’historicité : une façon de vivre plus complexe que la “communauté”; plus symbolique que la “société” (Idem, p.224)

Pour le conte créole, on désignera l’espace de l’Amérique des plantations, de la Caraïbe des habitations. Cette interculturalité dépasse les autonomies culturelles et se positionne en termes de multiculturalité, transculturalité, multilinguisme.

Les contes d’animaux, qui se distinguent de la fable, ont des personnages issus du bestiaire merveilleux des Antilles. Chaque animal convoqué, à la lourde charge de symboliser l'une des communautés qui composent la Martinique, (noire, blanche, métisse, mulâtre, indienne, etc, …) dans toute sa dimension historico-culturelle. 

Ils disposent d’un bestiaire spécifique (Lapin, Tigre, Colibri, etc...), d’un panthéon extra humain, presque Divin (le bon Dieu, le grand Diable, la vierge Marie, etc, …). Ils disposent aussi d’un stock de personnages stéréotypés avec caractéristiques négatives et positives (roi, gendarme, police, père absent, mère faible ou courageuse, parrain, marraine, enfant terrible, enfant maudit, …). Ces groupes de personnages en scène dans la ronde des conteurs représentent tour à tour la géographie physique des Antilles, leurs comportements sociaux dans un milieu spécifique, qu'est le système colonial. 

Le mécanisme du conte créole, sorte de tissu cousu, toile brodée, semble persister jusqu'à nos jours. Ainsi la transcription des récits des vieux conteurs, la tentative de production de nouveaux contes par nos écrivains modernes ne se démarquent pas tellement des supports initiaux. Voyage inter-oraliturel, voltige permanente. Alors, honneur à Colibri, premier volatile-voltigeur-voyageur, symbole de résistance. 

Colibri, conte important du folklore martiniquais, il est aussi recueilli aussi par LH. Colibri, bel emblème récupéré par le peuple martiniquais (région, tourisme, société). Colibri, chanté au Concerto pour la fleur et l’oiseau de M. Cultier musicien martiniquais. Colibri, personnage évoqué par Aimé Césaire et d’autres écrivains font appel à lui. Intègre, c’est un symbole intégré dans l’imaginaire créole, survivance diffractée d’un mythe amérindien, c’est un pli redéployé par les plumes antillaises. 

Par un mécanisme transculturel, voilà un symbole amérindien, Guerrier-Soleil, un élément de la mythologie azthèque, oiseau-Dieu des Tainos appelé Huitzilotchili, Dieu de la guerre et du soleil qui survit alors dans notre imaginaire antillais. Petit, coloré, libre dans sa légèreté dans tous les sens du terme, baiseur de fleurs (passero beija-flor), puisque c’est ainsi qu’il se nomme au brésil, c’est l’éternel insoumis au système. Sa dynamique rebelle s’est donc constituée, pas de toutes ses ailes, dans l’imaginaire populaire des Antilles. 

Sa geste a son importance et illustre des faits historiques, des comportements sociaux-historiques connus de LH. 

L’esclavage et ses affreux sévices, la colonie et ses terribles répressions, la lutte et ses éphémères victoires et durables défaites, la révolte et ses courts espoirs et lourds désespoirs, la mobilisation et ses mauvaises unions, petites compromissions et grandes trahisons. Toute la tragédie du système pernicieux se joue ici.

Philippe Chanson, théologien, anthropologue de l’université de Genève, membre du Laboratoire d’Anthropologie de Louvain, de la société Suisse des américanistes, grand voyageur et collecteur de contes qui met en scène la religion (Dieu, Diable) décrit notre Colibri ainsi :

«Sa fine beauté aux reflets métalliques, mais sa liberté affichée, son irréductible insoumission que célèbrent sa vivacité extrême, ses trajectoires éclairs, inattendues, ses frous-frous d’ailes folles, ses poses en surplace et ses départs soudains, ses brusques esquives et ses montées en flèche vers la lumière, … Et plus encore, tant Colibri, l’oiseau affranchi, autonome, insaisissable, respire l’intelligence, la prudence légendaire et la rapidité d’un savoir-faire tenace sous son apparence frêle. La surprise passée, il lui sied donc à merveille d’être le minuscule héros de ce conte mis en face de la masse énorme de l’adversité.» (Chanson, CHS)

Aimé Césaire et René Ménil, dès 1942 dans la revue Tropiques, diffusaient le Conte Colibri de LH, en apportant de sérieux commentaires : «Un tambour. Le grand rire du Vaudou descend des mornes. Combien, au cours des siècles, de révoltes ainsi surgies ! Que de victoires éphémères ! Mais aussi quelles défaites ! Quelles répressions ! Mains coupées, corps écartelés, gibets, voilà ce qui peuple les allées de l'histoire coloniale. Et rien de tout cela n'aurait passé dans le folklore ? Vous connaissez le conte de Colibri. Colibri, contre qui se liguent le Cheval, le Boeuf, le Poisson-Armé et Dieu lui-même. Colibri et son fidèle compagnon : le tambour !»(TRO, p.10) 

Césaire dans La tragédie du roi Christophe le place auprès du roi à l’aube de sa mort. Devant ses ennemis venus le renverser, le roi vaincu convoque une ultime cérémonie vaudou. Alors comme Colibri de LH, le roi isolé réclame que le tambour invoquant l’Afrique batte et appelle un large bestiaire pour une belle solidarité :

«Congo, l’impétueux colibri dans sa tubulure du datura, je me suis toujours émerveillé qu’un corps si frêle puisse sans éclater supporter le pas de charge de ce coeur qui bat. Afrique de ta corne, sonne mon sang! Et qu’il se déploie de toute l’envergure d’un vaste oiseau! 

N’éclate pas cage de ma poitrine! 

Tambours mon pouls, battez, 

Le toucan de son bec brise le fruit du palmier-raphia

Salut Toucan grand tambourinaire ! 

Coq, la nuit saigne au tranchant de la hache de ton cri.

Salut coq ahan tranchant! (…)» 

(Césaire, TRC, p.143) 

 

Daniel Maximin dans la trilogie L’isolé soleil, Soufrière, L’ile et une nuit, nous propose une chaine des colibris qui ne s’interrompt jamais.

Patrick Chamoiseau dans Neuf consciences du Malfini fait l’humble, l’infime Colibri affronter seul une tragédie écologique. Il en ressort, vaincu avec les honneurs  par l’autre mythe de la faune et du conte créole, l’oiseau Féroce dévore le mythe aztèque originel : «manger son adversaire c’était lui rendre honneur» (Chamoiseau, 9CM, p.195).

Conclusion

La démarche poursuivit par LH, tout au long de sa vie, de ses grands voyages (Grèce, Irlande, Pays de Galles, Grande Bretagne, États Unis, Antilles, Martinique, Japon) que ce soit sous l’angle d’une quête spirituelle ou dans sa quête spontanément sous influence exotique, ou encore quand il part à la recherche de genèses pour ses écrits, s’allie à sa simple recherche d’affections pour vivre sa dimension humaine. 

Sa vision exotique est respectueuse, son esthétique consciente. En quête de l’Autre, du Divers, il s’est retrouvé, il s’est rencontré. 

Toutes figures, histoires, rêves, cauchemars, genèses, rencontrés animent ses phantasmes, qui lui procurent satisfaction momentanée ou permanente dans la recherche de son moi, de son équilibre, de son paradis perdu. 

Conditions nécessaires à son équilibre et à l’épanouissement de son génie, et à la révélation de sa sensibilité. Il retrouve son paradis perdu dans des paysages plaisants, sur des visages bienfaisants, favorisant le transfert et la sublimation des souvenirs. Tout le relie à l’ancien continent, tout le transporte dans sa patrie natale, ses légendes antiques. 

La Martinique (légère) projette les légendes fantastiques, le Japon (légendaire) transfère les mythes historiques. Lieux de la culture qui lui offrent des peintures inachevées en raccourci : géographie physique et humaine, attitude sociale et mentale, humanité et génie, misère et souffrance, malheur et tragédie, Histoire et mémoire, parole, langue et langage.

Pourquoi voulait-il prendre et comprendre, marquer et graver, cueillir et recueillir, transcrire, traduire peintures et portraits, histoires et mémoires, contes et légendes, culture et littérature fantastique ? 

A-t-il senti la culture fragile aux Antilles aux libertés à peine centenaires ? Et Après, en quête d’identité, a-t-il senti plus solide le Japon aux traditions  millénaires ? 

Encore faut-il se demander pour quel Japon se passionne-t-il, en glanant les champs de Bouddha ? 

Un Japon en pleine mutation avec comme aux Antilles un ancien régime effondré, une modernité singulière surgie, un partage du traditionnel et du moderne. 

Un japon qui intègre, qui approprie, qui réduit l’absolu de son altérité culturelle, non sans osciller, non sans embarrasser, non sans contraindre une identité que l’on chantait «atemporelle, absolue, ancestrale (…) à l’altérité culturelle irréductible à toute modernité» (Pons, ET, p.10) ou un Japon «contraint d’enrichir le spectre de son modèle, acquérant ainsi une capacité particulière de butiner les autres civilisations» (Pons, ET, p.19) ? 

Bref, il rencontre un Japon en période initiatique de créolisation. Les vieux temples, les anciennes légendes qu’il visite sont des hauts lieux d’une fixité ancestrale japonaise mais aussi des points de rencontre d’un lointain éparpillé reconstitué. 

Né avec un bagage multiculturel, tout au long de sa vie, ses voyages, son oeuvre, il a montré une grande ouverture d’esprit et une étrange capacité à sentir le divers qu’il rencontra. Ainsi d’autres bagages culturels sont venus se juxtaposer sur ses perspectives littéraires. 

Les cultures européennes (Grèce, Angleterre, Irlande, France, Celte) américaines, antillaises, créoles, (USA, Caraïbe, Martinique) et aussi asiatiques (Japon, Inde, Chine) coulent en lui par passage, transit, traduction. 

Il aurait fallu insister aussi sur l’influence des modèles français sur son itinéraire littéraire. Traducteur d’auteurs célèbres français romantiques, post-romantiques, naturalistes, il révéla Gautier, Flaubert, Maupassant, Loti, Zola, Nerval, Baudelaire, … en Amérique. 

LH est en quelque sorte une somme de croisements et d’éparpillements culturels. Comment ce tout (éparpillements, expériences sincères du voyage, frissons) coulent en lui par passage, transit, traduction et sur ses perspectives littéraires ? 

Que devient ce tout en un seul individu : de son moi personnel de l’enfance à sa personnalité constituée, de sa langue natale aux langues maternelles de l’enfance, de l’exotique à l’esthétique : Lettres françaises, parole créole, culture japonaise ? 

Devient-il multitude, totalité, relation ? Laissons-le répondre par la citation qui ferme souvent mes conférences «Moi, un individu, - moi une âme individuelle ! Non ! Je suis un peuple tout entier ! Je suis composé de générations, d’éons incalculables. D'innombrables fois, La foule qui me compose actuellement a été éparpillée et mêlée à d'autres éparpillements. Pourquoi se soucier alors de la prochaine désintégration ?» (Hearn, GL, 1925, p.87). 

Sa personnalité humaine ne se limite pas à l’individualité, elle s’aventure sur le rivage de la «totalité», dans la «localité» des mutations, autour de «l’espace interstitielle» des éparpillements. Et, le géographiquement loin vit bien rapproché poétiquement.     

Je vous remercie de votre courageuse attention. 

Toyama, le 06/08/2015

Louis Solo Martinel

Université de Waseda

 

Bibliographie

Les oeuvres souvent citées sont indiquées par leurs initiales

Livres de Hearn Lafcadio (traductions françaises)

Sur le Japon

Esquisses japonaises, Paris, Mercure de France, 1934 (EJ)

En glanant les champs de Bouddha, Paris, Mercure de France, 1925 (GL)

Le Japon, Paris, Mercure de France, 1993 (JP)

Kokoro, Paris, Minerve, 1989 (KK)

Sur la Martinique

Esquisses martiniquaises, Paris, Annuaire International des Français des DOM, 1977 (EM)

Un voyage d’été aux Tropiques, Paris, Mercure de France, 1931 (VT) 

Contes des Tropiques, Paris, Mercure de France, 1926 (CT)

Trois fois bel conte, Genève, Calivran Anstalt, 1978 (3BC)

Contes créoles 2, Paris, Ibis Rouge, 2001 (CC2) 

Youma, F-de-F, Editions Désormeaux, 19.. (YO)

Sur d’autres pays

Chita, Paris, Mercure de France, 1993 (CHI)

Feuilles éparses de littératures étranges, Paris, Mercure de France, 1926 (FE)

Livres d’autres auteurs

Adam Lucien, Du parler des hommes et du parler des femmes : caraïbe, Paris, Maisonneuve, 1874 (DU)

Affergan Francis, Exotisme et Altérité, Paris, PUF, 1997 (EA)

Affergan Francis, La pluralité des mondes, Paris, Albin Michel, 1997 (PM)

Affergan Francis, Anthropologie à la Martinique, Paris, PFN des Sciences Pol, 1983 (AM)

Apulée, Les Métamorphoses, Paris, Poche, 1975 (LM)

Bachelard Gaston, La Poétique de la rêverie, Paris, Gallimard, 1961 (PR)

Bhabha Homi K, Les lieux de la culture, une théorie postcoloniale, Paris, Payot, 2007 (LC)

Baudelaire Charles, Oeuvres complètes, Paris, Arvensa, 1975 (BOC)

Baudelaire Charles, Petit poèmes en prose, Paris, Flammarion, 1987 (BPP)

Bettelheim Bruno, Psychanalyse des contes de fées, Paris, Robert Laffont, 1976 (PCF)

Bouvet Rachel, Vers une approche géopoétique (White, Segalen, Le Clézio), Montreal, PUQ, 2015 (AGEO)

Césaire Aimé, La Tragédie du Roi Christophe, Paris, Présence Africaine, 1963 (TRC)

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Kristeva Julia, Etrangers de nous-mêmes, Paris, Fayard, 1988 (ENM)

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Marco Polo, Le Livre des Merveilles, Paris, Larousse, 2010 (LM)

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Maximin Daniel, L’isolé soleil, Paris, Points, 20o1 (IS)

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Said, Edward W., L’Orientalisme, Paris, Seuil, 1980 (OR)

Schuchardt Hugo, Kreolische Studien, Wien, Carl Gerold’s Sohn, 1882 (KS)

Segalen Victor, Essai sur l’Exotisme, Paris, Fata Morgana, 1978 (EE)

Segalen Victor, Équipée, Paris, Gallimard, 1983 (EQ)

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Todorov Tzvetan, Nous et les autres, Paris, Seuil, 1989 (NA)

White Kenneth, Le plateau de l’albatros, Paris, Grasset, 1994 (PA)

Yourcenar Marguerite, Les yeux ouverts, Paris, Editions du Centurion, 1980 (LYO)

Yourcenar Marguerite, Conte bleu, Paris, Gallimard Folio, 1993 (CB)

Revues 

Césaire dans Tropiques, 1941-1945, Paris, Jean-Michel Place, 1978 (TRO)

Chanson dans Bulletin hors série, Suisse, S.S.A, 2009 (CHS)

Catalogue of The Lafcadio Hearn Library in Toyama University, Japan, 1990 (LHL)

Films 

Kwaidan, d’après Hearn, réalisation Kobayashi Masaki, Japon, 1964

Yuki Onna, d’après Hearn, réalisation Kokuzo Tanaka, Japon, 1968

Théâtres

Aurore de la liberté d’ap. Youma de Hearn, acteurs amateurs, Adp., Dir, Suzanne Césaire, F-de-F, 1955 

Nanie Rosette d’ap. NR de Hearn, Téatlari, Adp. Vincent Placoly, Dir. José Alpha, RFO Martinique, 1990 

Le mangeur de frissons d’ap. Hearn, Fuji Scène Francophone, Adp., Dir. Louis Solo Martinel, Japon, 2004

L’odyssée de l’étrange, d’ap. Hearn, Fuji Scène Francophone, Adp.,Dir. Louis Solo Martinel, Japon, 2009

Musiques

Cultier Marius, Concerto pour la fleur et l’oiseau, Vinyle LP, MGC 010683, Martinique, France, 1983 

Web

Le monde.fr avec AFP «Japon: un thon rouge de 222kg vendu 1,38Millions d’euros», le 05.01.13 à 16h25

 

Notes

(Hearn, Esquisses Martiniquaises, La Diablesse, p.99-100)

«C’est un midi étouffant et sans nuages. Sous l’averse éblouissante de la lumière, une fumée bleue  semble s’élever des collines, une sorte de mince brouillard jaune auréole les lieues de cannes qui mûrissent, tel un immense reflet. (…) C’est l’heure du repos. Une femme s’avance le long de la route, elle est jeune, très brune, très grande ; elle est nu-pieds et vêtue de noir. (…) Sur un tranquille sentier des montagnes plein de sinuosités, où, vous vous croyez seul, vous serez souvent effrayé de sentir quelqu’un derrière vous, vous le devinez plutôt que l’entendez : pas assourdis, mouvements élastiques d’un long corps souple, muettes sourdes oscillations de vêtements. Et en avant même que vous puissiez vous retournez pour regarder, l’apparition vous dépasse rapidement, en vous adressant,  la salutation en créole : bonjou Missié ! ou bonsouè, Missié ! (Bonjour Monsieur, Bonsoir Monsieur). Cette soudaine conscience en plein jour d’une invisible présence vivante et même plus troublante que la sensation qui dans l’obscurité absolue, vous oblige à vous arrêter sans respiration devant de grands objets solides, dont la proximité ne vous a été révélée que par quelque émanation muette et aveugle de leur seule force» 

(Hearn, Le Japon, Kwaidan, Yuki Onna, p.81)

«Un soir glacial, Mosaku et Minokichi s’en retournaient chez eux lorsqu’ils furent surpris par une violente tempête de neige. (…) C’était une tempête terrible…, L’air se glaçait chaque instant davantage et Minokishi frissonnait sou son manteau de paille. Enfin, le soleil l’envahit. Il fut réveillé par des flocons de neige qui tombaient sur ses joues. La porte de la cabane était ouverte, et, à la clarté intense de la “lumière de neige” (yuki akari), il distingua une femme, tout de blanc, debout dans la chambrette.» 

(Hearn, Trois fois bel conte, Soukugnan, p. 63)

«Quand il arriva aux balisiers, il commençait - un brin - à faire nuit. Il regarda à droite, à gauche.  (…) Il marcha, marcha, marcha …, jusqu’au fond des grands bois. Enfin, il vit sur un arbre un bel oiseau posé : Ses plumes avaient la couleur des jours passés ; on aurait juré qu’elles étaient lumineuses. L’homme n’était pas poltron. Il regarda l’oiseau se balancer par-ci, par-là, et il l’entendit chanter doucement : “Dédé connan, dédé a lépé Dédé connan, laissé mwen dômi” (laisse-moi dormir) Il voyait bien qu’elle  n’était pas une créature du Bon Dieu, cette bête (…) L’oiseau chanta plus fort : “Visé bien, visé bien, Moin foucolé” (vise-moi bien, je suis ensorcelé)» 

 

(Hearn, Le japon, Kwaidan, Oshidori, p. 49-50)

«Au loin, dans la brume de la nuit tombante, Sonjô aperçut un couple d’oshidori (canards sauvages) qui nageaient paisiblement, côte à côte. Bien que cela porte dit-on malheur de tuer un de ces oiseaux, Sonjô tira son arc et visa le couple, car il avait très faim. La flèche, traversant l’espace, transperça le mâle. La femelle parvint à s’échapper et disparut parmi les hauts roseaux qui bordaient le fleuve. Sonjô rapporta son butin chez lui, le fit cuire pour le repas du soir. Cette nuit-là, il fit un rêve étrange. Il rêva qu’une jeune femme très belle entrait dans sa chambre et se tenait à son chevet, Elle sanglotait éperdument et ses pleurs étaient si amers que Sonjô, qui l’écoutait, crut que son cœur allait se briser de chagrin ! La belle inconnue lui dit : - Pourquoi, oh pourquoi l’avez-vous tué ? Que vous avait-il fait ? De quoi était-il coupable ? Nous étions si heureux tous les deux à Akanuma. Vous l’avez tué Comprenez-vous seulement l’étendue de votre crime ? (…) Je ne survivrai pas à mon mari. Voilà ce que je suis venue vous dire. Et elle récita ce poème, d’une voix désespérée, entrecoupée de pleurs : 

Hi kurureba    

Sasoichi mono wo

Akanuma no

Makomo ga kure no

Hitori ne zo uki

 


06/07/2014      

■The Open Mind of Lafcadio Hearn (His Spirits from the West to the East)

International Symposium to Commemorate the 110th Anniversary of L. Hearn’s Death

 Exoticism and Cross-Culturality on Lafcadio Hearn’s Fantastic Tales

(His Fantastic Spirits from the West Indies to the East)

Louis Solo Martinel, Waseda University

Lafcadio Hearn, an English writer of Greek-Irish parents, a kind of Homer or Proteus of the realm of oddness, a forerunner of a certain trend of World Literature, collected strange stories, fabulous legends and fantastic tales in America, the West Indies, Martinique and Japan. Therefore his works became the locus of passage and translation for European, American, Caribbean, Creole and Asian Cultures. I would say all those cultures run though him.

Born into a multi-cultural background, with an open mind and an uncanny feeling for diversity, later in his life he would encounter the most variegated cross-cultural topics. During his numerous voyages which always left a deep impression on him and always were the occasion for a never-ending thrill of amazed delight (le frisson) when discovering new countries and their people, he collected stories which are geographically distant from one another, yet poetically very close. 

I want to express my gratitude to the organizers and everyone who made this symposium possible. I also want to tell you how delighted I am to participate in this symposium today, the objectives of which are so close to those of my academic, theoretical and theatrical researches in connection with Hearn’s works and life. Today, within the framework set by the organizers of this symposium, I shall try to illustrate the open-mindedness of Hearn from various points of view. I shall reconsider his cross-cultural flexibility and his legacy in a global context. I shall try to shed a somewhat new light on Hearn and re-contextualize his works and life. And I shall point out the significance of his Open Mind for today’s reader. And I shall ask myself how his Open Mind can stay meaningful and inspiring in the future? It is advisable from now to show his open-mindedness, to reconsider his Cross-Culturality and his Exoticism in the wide context of "Aesthetics of Diversity", a concept developed by the French traveller-writer Victor Segalen, and in the context of "Poetics of Relation", a concept developed by the Martinican philosopher-writer Edouard Glissant, to ponder its esthetics in all its meanings, to be inspired by these in the future.

Over the last few years my work has been devoted to reconsidering and re-contextualizing Hearn’s legacy with new critical views and with modern tools in order to understand the exoticism and cross-cultural flexibility contained in his great works. 

I myself consider him one of the first collector-writers of Creole tales, well, I can say a forerunner of a certain Creoleness. And, he was a lover of French Belles Lettres and devoted the last part of his life to introduce the Japanese culture to the West. Well, I can look him as a master of Diversity and Relation, the first Exot and one of the fathers of World literature. 

You might say that this is too high a praise for an author like Hearn, but in my opinion this praise is rightly deserved. It is indeed a question of how to make possible the updating of the reading of Hearn’s works in the light of new tools of the theory of culture and of new critical looks into his works with regard to recent studies of contemporary cultural history.

We need to reconsider Hearn’s work in its global ethics and its aesthetics. His work is diffracted into resonant periods (American, West Indian, Japanese), connected by diverse themes (Exoticism, Otherness, Diversity, Creole Identity), covers several domains (literary, social, ethnological, historic), reaches out to several objectives.

To illustrate the cross-cultural flexibility and the open-mindedness of Hearn, it would be commonplace to start with the fact that he was born here on this Island of Lefkada in Greece, of a Greek mother and a father who was an Anglo-Irish doctor, thus a cross culture product. But it would be rather original to say that first he was endowed with an uncanny capacity to feel Diversity. Later he will encounter other cultural scatterings/crossings and fell Exoticism, journey after journey.

My approach consists in saying that his travel stories offer Exotic perspectives, his unusual stories are ethnological inquiries, his fantastic tales are filled with wonderful Cross-Culturality and Trans-Culturality.

Hearn, travelling from Lefkada (Greece) his native island to Tokyo (Japan) his final destination, observed minutely places and faces (people). His curiosity was enthusiastic and without limits. He follows his desire to know more, because he always wanted to satisfy his thirst for new discoveries and new encounters. Isn’t this the same sin which plagued Dante’s Ulysses: Curiosity? Dante put Ulysses in his inferno, Hearn found in the Caribbean and in Japan a peaceful heaven.

Some spiteful tongues among the critics say that he looked at all Places and Faces with too much exteriority, that is with the typical attitude of the outsider, and with a kind of nostalgia for an exotic past. On all the journeys he went, he was interested in anthropological facts, the oral and written literature, myths and legends and traditional and popular customs. He had keen powers of observation, especially a keen eye for the exotic detail. In Cincinnati, his job as a journalist allowed him to approach various cultures. In the metropolis of New York, he explored the districts of black people in search of traditions. In the West Indies, he invested a lot of time in collecting the traditional tales and tried to translate them in order to get to the essential elements of Creole culture. He painted portraits of people from very humble backgrounds: carriers, washerwomen, children's nurses (Da). Eventually, in Japan, he will go to the heart (Kokoro) of the Japanese civilization by searching deeper for tales, legends and religious traditions.

To reconsider Hearn means also to reconsider the concept of Exoticism. The concept of exoticism to which I am refering here goes back to Victor Segalen. His ambition was to make us accept the concept of Exoticism as a defining element of what he named him self "An Aesthetics of Diversity".

He imposes several conditions: Exoticism should reconquer its original purity, deprived of its rags and its old clichés, "having stripped it of its innumerable scoriae, flaws, stains" (EE p.19).To reconsider Hearn means also to reconsider the figure of the Exot. Segalen gave his own definition. "The Exot is a born traveler, someone who senses all the flavor of diversity in worlds filled with wondrous diversities" (EE, p.25) Moreover, in a marginal note which he joins to the manuscript of his Essay on Exoticism, Segalen did not hesitate to qualify Hearn as a better Exot when compared to Pierre Loti and other Exotic writers whom he calls severely pseudos-exots. "Others, pseudo-Exots, the Lotis, tourists, had an effect that was no less disastrous. I call them the Panderers of the Sensation of Diversity (EE p.29). With this authorization from the master of Exoticism I feel entitled to look at Hearn’s Exoticism as something different from touristic Exoticism, i.e. a surpassing of traditional Exoticism. If the father of the reconsidered modern Exoticism, in his reconquered original purity, names Hearn the first Exot, there has to be a good reason.

More than an exotic investigation, it is the investigation of the Exot himself that begins with Hearn, the Exot as understood by Segalen. I call any possibility which arises from an authentic experience of a journey, an Exotic perspective. What is the opposite of Exotic : Endotic ? It is an ugly term, you may say, but all the dictionaries I have consulted I could not find a more opposite antonym of Exotic and Exoticism.

The French Writer George Perec, literary affiliated to the group founded by Raymond Queneau called Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle - Workshop for Potential Literature), uses the neologisms "infra-ordinary" in opposition to "extraordinary" and "endotic" in opposition to "exotic" (SSOP, pXii, p205, 207). We can say after him, Endotic retrospective would be on the other hand (in return, I should say) the look at oneself, the internal journey, the dive in the abyss of the memories, the possibility of implanting a little more in oneself. With this approach, I would say Exotic perspective is a drive of curiosity (desire to know and to take care of). And, if so, Endotic retrospective could be the dive of memory (desire to look at oneself and to implant in oneself). Encounters with somewhere else, someone else, the other, the foreigner (people and countries), the strange or strangeness are in fact encounters with Diversity. Discovering Exoticism is also discovering oneself (external and internal journey). After his philosophical exploration of the concept of Exoticism in his famous and ambitious Essay on Exoticism Segalen shows us, with another essay Equipée, how exposure to radical difference (exotic) is a positive dysfunction for the oneself, the self-same subject. The lost and found subject facing the new and old encounter with otherness and strangeness, discovering the other and discovering oneself, diversities and memories. "I, myself and the other, We meet up here, At the farthest extent of the voyage" “Moi même et l’autre, nous nous sommes rencontrés ici, au plus reculé du voyage” (EQ, p.38). This quotation illustrates magnificently the experience of Hearn: leaving in search of somewhere else, it turns out to be a search for oneself. Segalen said also: On a spherical surface, to leave one point is already to begin to draw closer to it! The sphere is Monotony. The poles are but a fiction (EE, p.43). The shiver he felt in front of a new environment in the Caribbean and Japan and the resonances of childhood-memories create a confusion of sensations. These are great Exotic perspectives and Endotic retrospectives. Segalen defined Exoticism as an aesthetics of Diversity: "Diverse" everything that until now was called foreign, strange, unexpected, surprising, mysterious, amorous, superhuman, heroic, and even divine (EE, p.67). Hearn’s books about Japan and Martinique are filled with Gods and Spirits. Segalen and Hearn are on the same wavelength about Exoticism and Diversity.

I.Exotics Perspectives and Endotic Retrospectives in his travel stories

I based my paper mainly on two of his travel stories: Two Years In French West Indies and My First Day in the Orient. But I could have easily refered to other texts too. In his travel stories about the Caribbean archipelago as in those about the Japanese archipelago, he found excellent parallels between Japan and Caribbean (the mentality, the topography, the sea and their literatures of the fantastic). The Caribbean and the Japanese archipelagoes are situated on the opposite side of the earth to each other, separated by oceans and continents, but poetically we can move them closer together.

Before landing in Japan (1890), Hearn had stayed in Martinique for two years (1887-1889). He takes us on a tour through old Saint-Pierre with all its peculiarities and its particular atmosphere, through a world new for him and his readers. A world which sometimes seems to him naïve, childish, often tragic and fragile. Wherever he goes, he is always on the lookout for impressions and shivers, for example when he saunters for the first time in the foreigner’s district of Yokohama. In Japanese Sketches, Kwaidan, In Ghostly Japan and My First Day in the Orient, he confronts us with his experiences through travel stories, fantastic tales, anecdotes and descriptions. In Two Years in the French West Indies, he tells us that on one occasion the view of the city of Saint-Pierre, which he poetically renamed Pompeii of the tropics, imparted such an emotion on him that he felt a faint shiver. The experiences on his voyages to new Exotic places revealed to him an Endotic retrospective. He had the vision that he was in a city of the antiquity. Saint-Pierre appears as a mirage.

In front of a new Exotic spectacle, he had the sensation of an old spectacle he could never really have known, except from old pictures. In My First Day in the Orient, describing his first day in Yokohama, the same emotion and a similar evocation of the past come to the fore. Hearn is overwhelmed by illusions in both places. Here too we have an Exotic perspective which builds itself up in a same way. His first impressions on his arrival in the Orient stem from an Exotic perspectives and a corresponding Endotic retrospective which brings back memories of the picture books of his childhood.

II. Sacrifice as a positive tasting of Diversity in his novels

Right from the start as a writer-journalist, Hearn dreamed of becoming a famous novelist. He said that he would wait for a powerful and challenging subject so that he could show his talent as a novelist. Would this powerful subject be a feminine figure? During his West Indian period he wrote Youma, a novel about a black nursemaid for white children (1st sacrifice) who died during a slaves’ revolt by opposing herself to her lover and her slave brothers (2nd sacrifice). The slaves were furious. They refused to save the girl whom she had to protect. Hearn wrote to his friend Mitchell McDonald "The story is substantially true. (…) The girl really died under the heroic conditions described - refusing the help of the blacks, and the ladder. Of course I may have idealized her, but not her act.» (WLH, XV, p.79). During his Japanese period he wrote Kimiko, a novel about a geisha. She was a victim of the Meiji restoration and the economic decline of samurai families. She was sold as a geisha (1st sacrifice) and had to disappear (2nd sacrifice) and to sacrifice her love. 

What fascinates Hearn in this story is the complete oversight of the "me" and the fertile character of her sacrifice according to Buddhist morality.

I tried a comparative study of these two feminine figures in which I approached the concept of the sacrifice with Segalen’s Aesthetic eyes "a positive Tasting of Diversity" (EE, p.60). I presented this study in communications at several international symposiums in Japan France and Martinique. I pointed out for comparison the historical framework, the destiny of the feminine figures and the narrative structure. The figures of Da Youma and Geisha Kimiko in their respective roles follow a fate imposed by a historic situation which turns out to be an alienation from which they cannot escape if not by a fatal distance.

The tragedy described by Hearn becomes poignant in the light of the historic events. The sacrifice of Kimiko and the dedication of Youma which he observes and describes are positive tastings of Diversity. In both cases, it is about sacrifice. They give up love and freedom. The heroines of Hearn, in order to accomplish what they are destined to do, are endowed with ideal traits of character: beauty and kindness. Their beauty and kindness transfigure them: for Youma it reads "The young bonne was universally admired: she was one of those figures that a Martiniquais would point out with pride to a stranger as a type of the beauty of mixed race" (WLH, IV, p.268) and for Kimiko, it reads, "An exceedingly wonderful girl  (…) To win any renown in her profession a geisha must be pretty or very clever, and the famous ones are usually both, (…) if only that beauté du diable (in French in text: the beauty of the devil) which inspired the Japanese proverb that even a devil is pretty at eighteen. (note :Oni mo jiuhashi azami no hana) But Kimiko was much more than pretty" (WLH, VII, p.500). Kimiko was also perfectly endowed for her job "she had been perfectly trained for the profession" (WLH, VII, p.502)

Besides the description of the idiosyncratic behaviour of the heroines, both narratives are full of heroic actions, bravery and courage. Youma will go as far as facing a snake and will become the center of admiration in her community. "From that night Youma became the object of a sort of cult" (WLH, IV, p.300). Kimiko will refuse any advances by admirers, even by those who cut off their little finger as a proof of loyalty and eternal affection. "some rich folks who offered her lands and houses on condition of owning her, body and soul, found her less merciful.

There is a foreign prince who remembers her name: he sent her a gift of diamonds which she never wore." (WLH, VII, p.503)  What is it that fascinates Hearn in these two women’s behavior? Is it the beauty and the power of their actions or simply the character of  Diversity, or even the Divine? We can see that he idealized their characters to match their gestures. With Segalen, we learned to distinguish the real pleasure from the disinterested act. Segalen was the one who considered the sacrifice as one of the most beautiful acts of Diversity. Because the sacrifice is profitable to the other one. In this regard Hearn and Segalen see no reductive or negative character in the act of sacrifice.

III. Cross-Culturality and Trans-Culturality in Tales of the Fantastic.

Why did I give my paper this subtitle: His fantastic spirits form the West Indies to the East? It is because Hearn, a kind of Homer or Proteus in the realm of oddness, was a forerunner of a certain trend of World Literature, collecting strange stories, fabulous legends and tales of the Fantastic in America, the West Indies and Japan. Some stories are geographically distant from one another, yet poetically very close. 

This similarity between stories is so surprising that I sometimes think the author himself had collected these characters to conform to the same theme and guides us through these wonderful stories. I had these feelings for example during two performances that I directed for the Theatre Company Fuji Scène Francophone with which I managed to celebrate Hearn in Japan : The odyssey of the oddness (2009) for the 150th anniversary of Yokohama Opening port festival and The eater of shiver (2004) for Centennial of Hearn’s Death. An international casting (English, French, Creole, Japanese) assured the full authenticity (linguistic, gestural, aesthetic, …) of the tales and made the  audience shivered with pleasure and fear. In a embroidered montage, we have gathered  american macabre stories "skulls and skeletons", strange tales and fabulous legends from Japanese sketches, Martinican sketches, Kwaidan, In Ghostly Japan, Tropics’ tales and Contes Créoles n°2. All these collections of stories are summaries of feelings, laughter, fear and make us cringe with shivers. The grotesque, comic, horrifying, strange, foreign and divine, all coexist in these strangest of all stories. Characters of the Japanese tales find themselves side by side with characters of the Martinican, American stories and some French stories of the Fantastic translated by Hearn. He invites us to share the shiver, which he refers to in French : Frisson. This long shiver of stunned enjoyment which inspires the first contact with the world in its wonderful diversities. Hearn’s tales of the Fantastic are suited for comparison. Such as La Diablesse, a fatale beautiful, a she-devil of the Martinican green sugarcane fields who suddenly shows herself in total silence only in the middle of a very hot day, and Yuki Onna, a fatale female ghost from the Japanese coast covered with white snow, who suddenly appears on a quiet and shivering night. We have also Oshidori, the sacred duck from the Japanese red marshes and Soukougnan an ominous enchanted bird from the Martinican green undergrowth. It was very exciting for me to compare Hearn’s Japanese and Creole tales in a theoretical and theatrical approach. Next to the universal aspects of the tales, we can appreciate the flavor of their Original aspects (dressing, frame, code, aesthetics, ethics).

Segalen used the term Diverse. Glissant went farther by using the neologism Diversal to confront the notion Universal. These aspects give to the tales the exotic stamp of Diversity and their cross-cultural origins. Some Japanese tales are derived from Chinese and Indian sources. Some Martinican tales have European, African and Amerindian sources. All the tales of the world are alike, all have universal functions and universal morphology according to V. Propp and some other specialists. Myths, tales, legends are the expressions of primitive complexes and the unconscious according to B. Bettelheim. They are also the projection of fantasies and traumas. They are the supports of folklore and culture. They are the complex spaces of preservation of the mechanisms of the primitive mind, the terrifying mythology. Hearn had no doubt about their ethnographical character.

Once upon a time (in English), Mukashi, mukashi (in Japanese), il était une fois (in French), Téni an fwa (In Creole), Miā Forā Ki Énan Kéro, (in Greek), all the tales of the world begin with this opening, already used by Apuleius in The Metamorphoses : Erant in quadam civitate rex and regina. An opening which on one hand plants the decor of poetic space-time, when the oral was master and agent of the secrets and was devoted on the scene of the square to verbal sparring matches at this fabulous time before the writing arrived. On the other hand this opening shows the orality as boatman of cultures and languages of borders of time and space. This formula shows by its universality of the passage, transit,  translat, a shape of cross-culturality.

Conclusion

Hearn’s initiative, whether it is under the angle of a spiritual quest or a quest spontaneously under Exotic influence, or still when he searches for genesis for his papers, becomes allied to his simple search for affections to take a human dimension. His exotic vision is conscious and aesthetic. In search of the Other one, of the Diversity, he found himself. Any encounter (face, figure, history, story, dream, nightmare, genesis) livens up his fantasies, which give him momentary or permanent satisfaction. They are necessary conditions for his balance, for the blooming (self-fulfillment) of his genius, and for the revelation of his sensibility. He found his lost paradise in landscapes, on beneficent faces. What favors the transfer and the sublimation of the memories? Everything connects him with the old continent, everything transports him to his native homeland, in the antique legends. The Marvelous West Indies delivered him fantastic legends, the legendary Japan transferred to him the myths. Born into a multi-cultural background, with an open mind and an uncanny capacity to feel diversity; the scattered stories and cross-cultural topics crossed his life and work. His experiences of voyage, influences, his translation of many French authors and some Creole sketches, his reading of diverse stories from Europe (Greece, England, Ireland, France), America (USA, Caribe, Martinique), Asia (Japan, China, India), … how did all of this flow through him? We do not have an answer yet but we know all those passages, transits, translations made him a master of diversity and one of the great fathers of World literature. His exotic perspectives, literary vocation and ambitions achieve his traveller-writer's destiny. He wrote to Krehbiel: “I would give anything to be a literary Colombus, to discover a Romantic America in some West Indian or North African or Oriental region, to describe the life that is only fully treated of in universal geographies or ethnological researches. (…)“ (LHW, XIII, p. 289) I would like to end with a perfectly suited quotation from Hearn’s text "Dust" witch seems to contain curiously but fortunately the spirit of concepts that we just presented: (0pen mind, Cross-Culturality, Exoticism, Alterity, Creoleness, Aesthetics of Diversity, Poetics of Relation, …)  

“I am individual - an individual soul! Nay, I am a population - a population unthinkable for multitude, even by groups of a thousand millions! Generations of generations I am aeons of aeons! Countless times the concourse now making me has been scattered, and mixed with other scatterings. Of what concern, then, the next disintegration? (LHW, VII, p.73) 

Louis Solo Martinel, Waseda University, Fuji Scène Francophone

Lefkada, Greece, July, 6th, 2014

 

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Contes Créoles (II), from Creole original man, French Tr by Louis Solo Martinel, Paris: Ibis Rouge, 2001 (CC)

Perec, Georges 

Species of Spaces and Other Pieces, Ed/Tr by John Sturrock, London: Penguin, 1977, 1999 (SSOP)

Segalen, Victor 

Essay on Exoticism, An Aesthetics of Diversity, Tr/Ed by Y. Rachel Schlick, Duke University, London, 2002 (EE)

Equipée, Paris: Gallimard, 1983 (EQ)

LAFCADIO HEARN, MONTE AU CIEL     

RÉSUMÉ

Lafcadio Hearn en terres francophones et créoles. La réception d’une œuvre

Communication pour le centenaire de l’éruption à St Pierre, Cycle de conférences internationales (2002, St Pierre, Martinique)

Communication  pour centenaire de la mort de Lafcadio Hearn (2004, Tokyo, Matsue, Japon)

Article paru dans la revue (International Perspectives, Program of Comparative Literature and Culture) University of Tokyo

 

Entre querelles et venelles

La réception de l’œuvre de L. Hearn en terres francophones et créoles est prisonnière de querelles entre anciens et modernes, entre ambiguïtés et doutes, préjugés et fantasmes. Du coup, notre auteur, maître de la Littérature mondiale, précurseur de la créolité, de la relation, premier exote, est privé d’une entrée méritée dans la modernité. « Lafcadio Hearn, Monte au Ciel », intitulé-pastiche de « Faulkner, Mississipi » d’Édouard Glissant est une relecture de l’œuvre de Lafcadio Hearn et de la critique qui s’y rattache.

 

Plan

Je propose alors de survoler la chronologie de cette réception (I), de relire les propos de L. Hearn qui provoqua la critique, ceux qu’elle a choisis de retenir, ceux qu’elle a omis de lire (II). Il faudra cependant tourner ces pages vieillies, évitant les écueils, établissant des postulats. Premièrement, si L. Hearn n’est pas condamnable totalement, il n’est pas non plus excusable totalement. Deuxièmement, si la querelle a autant d’arguments en sa faveur, c’est que L. Hearn n’a pas échappé aux préjugés raciaux de l’époque qui avaient aussi tant de discours en sa disposition. Il faudra alors proposer d’autres lectures, relectures plus modernes, loin des fantasmes et des amalgames, loin des querelles et des venelles (III).

 

Les étapes de ma démonstration

1/ D’abord dépoussiérer la critique notablement instituée, confortablement installée. 2/ Ensuite reconsidérer l’œuvre de notre auteur dans son éthique et son esthétique globales. Car elle est diffractée en plusieurs périodes (américaine, antillaise, japonaise), branchée en thématiques divers (exotisme, altérité, diversité, créolité), étendue sur différents domaines (littéraire, social, ethnologique, historique, …), tend à certains objectifs, relève de diverses tentatives, révèle différentes approches abouties, inachevées, abandonnées, égarées (traductions, romans, essais philosophiques, récits de voyages, recueils de contes, de proverbes, de recettes de cuisine, de chansons …).  3/ Puis, retrouver l’auteur, admettre l’expérience sincère de son voyage, comprendre son projet. 4/ Enfin projeter sa vision depuis les fabuleux lointains de ses odyssées dans une démarche insolite de retrouvaille avec lui-même. “Moi-même et l’autre, nous nous sommes retrouvés ici, au plus reculé du voyage” disait Victor Segalen

 

Louis Solo Martinel

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