■UBU COLONIAL Antilla 665 -19 janvier 1996 -P35
Par Louis Solo Martinel
À la réunion, 27 maires sur 24 ont été mis en examen, 26 élus de tous bord sont impliqués dans des scandales et autres complots juridico-financiers.
C’est énorme, monstrueux. La situation sociale et politique serait donc une enflure, un gros bobo, un mapiam à crever. Emmanuel GRANVIN et le théâtre Vollard ont trouvé là, matière à alimenter l’esprit de révolte soixante-huitard que les anime. Ils nous proposent donc un Ubu sur mesure. La caricature est à la hauteur et à la grosseur de la corruption. Bien réussi! Ce pantin, ce minable difforme et idiot, qui symbolise la grosse MERDRE politico-financière. Ne pourrait-on pas dire que le personnage d’Ubu colonial a des airs du monstre des égouts, difforme, vulgaire et grotesque, qui veut s’emparer de la ville de gothamcity dans Batman?
Belbel, le portier obèse du restaurant de Man Macelle, avec l’aide de son ami Balthazar, couillonne tout le monde. Il se fait élire roi de l’île à coups d’urnes falsifiées (des mamans cochons), devient riche à coups de loto colonial et coque tout le monde. Comme un mal cochon, le bougre à coup de merde, devient le chef-isalop de l’île, ayant comme unique programme -la tatane- c’est-à-dire ne rien faire du tout. Caricature que conviendrait aussi bien à nos shérif-soley-sans-étoile, nos véra bo-kay englués dans la vacabondagerie politique.
Emmanuel GRENVIN et le théâtre VOLLARD, avec Votez Ubu colonial sur-titré «Spectacle, repas et mise en examen » remporte un franc succès à Paris, en ce moment. Ce spectacle invite à rire, à dancer, à chanter et à hurler l’injustice. Avec force satirique, il convient de dénoncer la farce publique. Ré-interpréter Ubu, donne l’occasion au théâtre Vollard d’afficher les liens qui le rattachent tant à Ambroise VOLLARD qu’à Alfred JARRY. Le premier, éditeur et célèbre marchand de tableaux, était passionné du théâtre du second. VOLLARD s’étant lié d’amitié avec JARRY, écrira plusieurs séquences de la célèbre pièce durant la guerre 14-18 : Le père Ubu à la guerre, La politique coloniale du père Ubu, Le père Ubu au pays des soviets, Le père Ubu au panthéon, etc... Depuis 1979, date de sa création, le théâtre porte le nom d’AMBROISE VOLLARD, et leur première création fût Ubu d’Alfred JARRY.
En dehors du caractère bouffon, populaire du spectacle, réussi et souhaité par le metter en scène, il faut remarquer les joyeuses possibilités scénographiques et les belles idées de mise en scènes réalisées ici. D’abord, la configuration spécifique infrastructurelle d’ensemble ajoute aux rapports comédiens / spectateurs, l’intensité soutenue nécessaire. Ensuite, les objets et accessoires que provoquent par leurs connotations délibélément extraordinaires (exemple : le carrosse d’Ubu devient un splendide W-C monté d’une cloche – la loterie nationale, une curieuse construction à pédale – le bulletin de vote de l’opposition est représenté par un carré de papier toilette). Autres accroches iconiques, les tableaux du restaurant que marquent l’assimilation politico-culturelle (le portrait du Général, celui de Valéry François, le chanteur et non les autres, et bien sûr, la Vierge Marie). La pièce se veut être un réseau de vecteurs symboliques. Toute cette machinerie populaire se justifie par une large pratique de l’épisation) distribution de faux billets de banque, de bulletins de vote, de punchs et de journaux). Le créole utilisé est explicié, et le spactateur peut très facilement se référer au petit gloaire (ci-joint) distribué avec les programmes. Votez Ubu colonial, une pièce vivant à vivre.
Votez Ubu colonial, d’Emmanuel GREVIN, par le théâtre Vollard, sur une idée d’Ambroise VOLLARD, d’après le personnage d’Alfred JARRY, à Paris, au chapiteau de la place Stalingrad, jusqu’au 7 janvier 1996. Réservations 54.41.25.34.
Décembre 1995
Louis Solo MARTINEL